16 mars > Essai Etats-Unis > Emily Witt

La classe la plus importante dans les grandes villes est celle des singles : les célibataires. Paris, Londres, New York… Qu’on soit riche, qu’on soit beau, qu’on mange bio… Ça ne résout pas le problème : on est seul. Emily Witt, journaliste américaine (The New Yorker, The New York Times, London Review of Books, The Nation) installée à Brooklyn, connue pour ces enquêtes autofictives, sorte d’"écrit personnel mâtiné d’analyse sociétale", publiait l’année dernière aux Etats-Unis Future sex. L’éditeur français a préféré garder l’anglais du titre, sans doute parce que dans cet avenir désirable (?) nous parlerons tous universellement la langue de Shakespeare, ou plutôt celle de Tinder, l’application de rencontre avec géolocalisation des potentiels partenaires. A l’époque où Emily Witt vit le désarroi de se retrouver sans personne après une rupture d’avec son fiancé, ladite "appli" n’est pas si courante. Et puis, pourquoi passer par Internet, quand la vraie vie est là ? Le livre part d’une attente : "Une femme célibataire, hétéro, qui venait de franchir la barre des trente ans. Voilà ce que j’étais en 2011, et j’imaginais encore que ma sexualité, en termes d’expérimentations, atteindrait son terminus en douceur, un peu comme le lent monorail de Disney glisse jusqu’au prochain arrêt." Mais l’attente est un cliché : "Là, je descendrais de la rame, poursuit-elle, et me retrouverais nez à nez avec un autre être humain, et nous resterions ad vitam æternam dans cette station nommée "futur"." L’illusion n’est autre qu’un conditionnement - le conditionnement de la jeune femme à l’éros tutélaire du prince charmant, masque aux dents blanches d’un patriarcat relooké. D’échecs en désillusions (un garçon croit lui avoir refilé une IST !), Emily décide de changer de stratégie.

Faute de vraies histoires dans la vraie vie, elle va faire une plongée dans l’univers des sites et découvrir tout un monde qui lui était psychologiquement forclos : de la cyberpornographie au "polyamour" au festival psychédélique géant dans le Nevada (le Burning Man qui attire une foultitude de people, un "Davos dans le désert") en passant par les webcams et l’orgasme tantrique ou le dernier modèle de vibro Hitachi, l’auteure témoigne dans ces pages de sa traversée de ce sexe du futur qui la mène jusqu’à San Francisco. Investigation au pays du plaisir féminin (souvent empêché par l’idée de reproduction et son corollaire : l’obsédante question de la contraception) et interrogation quasi métaphysique sur le désir à l’heure où les possibilités explosent : Emily Witt nous invite à un voyage sextraordinaire.S. J. R.

10.03 2017

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