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Librairies de musée : l'art et la manière

La librairie du musée du Louvre. - Photo OLIVIER DION

Librairies de musée : l'art et la manière

Inaugurées en 1977 au Centre Pompidou puis au Louvre, en 1987, les librairies-boutiques de musée deviennent depuis une petite dizaine d'années des concept stores de plus en plus dynamiques.

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Par Marie Fouquet
Créé le 17.11.2023 à 10h31

Parmi les 400 premières librairies françaises répertoriées par Livres Hebdo (selon leur chiffre d'affaires) pour l'année 2022, 20 sont des librairies--boutiques de musée. Certaines d'entre elles ont vu leur chiffre d'affaires exploser en 2022 (jusqu'à +67 % pour le musée d'Orsay), si bien que plus de la moitié de ces librairies-boutiques de musée ont connu une progression de leur CA supérieure à 30 % entre 2021 et 2022. 

Certes, les épisodes de confinement liés au Covid expliquent ces croissances spectaculaires car les librairies--boutiques ont dû fermer leurs portes au même titre que les établissements. Mais depuis, la reprise du tourisme et l'engouement pour le livre et les expositions sont tels que ces chiffres dépassent ceux d'avant les années Covid. Les librairies-boutiques de musée sont en pleine forme et ne cessent d'innover, si bien qu'il y a un an Libération les appelait « les poules aux œufs d'art », et que France Culture les a intégrées, il y a quelques mois, à une série sur les « musées en mouvement », où étaient pointés l'accélération de leur développement et leur succès post-Covid. Commerces de destination, ces librairies-boutiques sont majoritairement « hors douanes », c'est-à-dire qu'il n'est pas nécessaire de visiter une exposition et d'acheter un ticket pour y accéder. Ainsi sont-elles fréquentées parfois comme des librairies généralistes, et la clientèle est composée à la fois de visiteurs habituels, d'habitants du quartier ou de personnes qui y vivent un certain quotidien (travail, écoles, bibliothèques). Sur le modèle des librairies traditionnelles, elles organisent aussi des rencontres, renouvellent leurs mises en place selon les expositions en cours dans le musée, et recrutent des libraires confirmés.

Si encore bien des musées et des fondations fonctionnent par ailleurs en autonomie - comme c'est le cas par exemple de Luma à Arles, du palais de Tokyo ou de la future Escabourcle (voir page 77) à Paris -, trois groupes dédiés à la gestion des librairies-boutiques de musée en France se démarquent, à des échelles différentes : la Rmn-GP, Arteum et la Boutique du lieu.

« On a constaté une soif d'authenticité et un retour vers les produits culturels. L'appétence pour les musées et pour le livre est bien là », confirme Virginie Perreau, directrice commerciale et marketing de la Rmn-GP. Leader du secteur, la Rmn-GP compte désormais 35 -librairies-boutiques depuis la toute récente acquisition de la boutique de la Cité de l'architecture et du patrimoine, qui ouvrira en novembre. Elle vient également de remporter l'appel d'offres de la librairie-boutique du Louvre à Dubaï. L'enseigne tient à recruter des libraires experts dans le domaine de connaissance nécessaire au musée dans lequel la librairie s'inscrit. Pour Virginie Perreau, « on ne peut pas faire de bonnes librairies sans de très bons libraires ». C'est pourquoi même si, comme c'est le cas pour la plupart des musées, ce sont les catalogues qui se vendent le mieux, il s'agit pour les librairies--boutiques de proposer une offre riche mais ciblée aux différentes clientèles qu'elles accueillent. Dans le classement Livres Hebdo, les trois premières librairies-boutiques de musée font partie de leur -portefeuille (le Louvre, le Centre Pompidou et Orsay). Mais la Rmn-GP, qui a longtemps été seule sur ce marché, ne l'est plus depuis la fin des années 2000, lorsque des organismes privés ont pu déposer leur candidature à ce qui est devenu un marché public, fonctionnant sur un modèle d'appels d'offres renouvelables. 

 « Quand j'ai découvert en 2009 que des acteurs privés pouvaient œuvrer dans les musées - les Galeries Lafayette avaient alors été choisies pour la gestion de la librairie de l'Opéra de Paris -, je créais ma société de concept stores », explique Lorraine Dauchez, directrice d'Arteum. L'idée lui est tout simplement venue de déplacer ce qu'elle imaginait faire dans les centres commerciaux - donner accès au plus grand nombre à des produits liés à l'art - vers les espaces muséaux, à travers les librairies-boutiques. L'aventure a commencé en 2013 avec le musée des Arts décoratifs de Paris (4e au dernier classement Livres Hebdo). C'est ainsi qu'en une petite quinzaine d'années, Arteum est devenu le leader privé français des librairies-boutiques de musée et de centre d'art. Arteum compte désormais 21 librairies-boutiques, dont la part de livres représente 40 % du CA. Dernièrement, elle a inauguré la boutique du musée Gainsbourg. « On est à la fois sur des ouvrages de référence sur l'artiste mais aussi issus de sa bibliothèque », souligne Lorraine Dauchez, avant de préciser : « Nous travaillons en étroite collaboration avec chaque institution et leur proposons des bibliographies pointues. C'est de la haute couture. » La prochaine ouverture de librairie-boutique d'Arteum se fera, en novembre prochain, dans le musée national de la Marine au palais de Chaillot (voir ci-contre).

Un autre acteur privé se démarque dans le marché, notamment depuis l'année 2021, où il a fait l'acquisition des -librairies-boutiques parisiennes de la Bourse de commerce et du musée de la Chasse et de la Nature : la Boutique du lieu. La société existe depuis 2006, et avait remporté un premier appel d'offres pour la Piscine de Roubaix en 2007. Si sa cible a longtemps été les musées d'arts en province, elle devient une concurrente d'importance pour la Rmn-GP et Arteum, même si leurs logiques économiques sont bien différentes. « On ne cherche pas à faire apparaître notre nom, qui est une marque blanche, explique Thibault Catrice, le président et fondateur de la société. On défend l'expérience de visite et la marque du musée. » La part de ventes de livres dans ses boutiques est en moyenne de 55 %. « L'enjeu de la proximité prend de plus en plus de place, on veut accompagner au mieux les musées qu'on sert. »

Pour parfaire leur proposition, les trois groupes misent toutes sur la section jeunesse, à mettre en valeur et à agrandir, dans cette vision partagée par tous les libraires de se faire des passeurs de livres pour tous types de lecteurs.

Hangar Y : cultiver la forêt

Construit à partir d'éléments de la galerie des machines de l'Exposition universelle en 1879, le Hangar Y, ancien berceau de l'aéronautique française, a rouvert ses portes au printemps dernier à la lisière de la forêt de Meudon, après quarante ans de fermeture. Dernière acquisition de la Boutique du lieu, la librairie-boutique du Hangar Y est ouverte tous les week-ends, les jours fériés et pendant les vacances scolaires, de 10 heures à 20 heures. La bibliographie de l'offre en livres s'étend d'ouvrages d'histoire ou scientifiques sur l'aéronautique et l'espace, jusqu'à des titres de développement personnel et de relaxation, en passant par des récits littéraires ou philosophiques, des essais et des romans, des beaux livres et des revues. Située dans l'espace très aéré du Hangar, au rez-de-chaussée, la librairie se fond dans le décor industriel, entre les espaces d'exposition et le café-restaurant, et offre une circulation aisée entre les tables de livres, en cohérence avec le lieu et ses événements. Le renouvellement des mises en place dépend à la fois des expositions en cours et des animations qui y sont proposées. En six mois, le lieu a accueilli près de 110 000 visiteurs, et se prépare en ce moment à l'ouverture de sa prochaine expo en décembre : Prendre le soleil.

Musée national de la Marine : la maison mer

Depuis le Covid, les Parisiens amoureux de la mer et du patrimoine maritime ne pouvaient plus trouver de librairie pour étancher leur soif. Désormais, le musée de la Marine au palais de Chaillot, qui rouvre ses portes le 17 novembre 2023, proposera non seulement « une expérience immersive et interactive au cœur de l'aventure navale et des grands enjeux maritimes du XXIe siècle », mais aussi une grande librairie-boutique. Elle formera la centrale d'achat et de stratégie des librairies-boutiques de quatre musées installés dans des villes portuaires françaises (Toulon, Brest, Saint-Louis et Rochefort).

La collaboration étroite entre le musée et Arteum a permis d'établir un riche catalogue qui mêle des ouvrages scientifiques, des récits, des romans - les littératures de la mer constituent une part importante du parcours d'exposition - mais aussi des ouvrages pour la jeunesse. Sur une surface de vente de 146 m2, 40 % sont réservés aux livres, le reste aux divers objets, affiches, jeux, en lien avec les expositions. Dans cet espace, on trouvera des rayons dédiés aux éditions réalisées par le musée, et des rencontres et événements avec des auteurs seront organisés. Selon Victoria Costes, cheffe du service marketing du musée, il s'agit de créer « un haut lieu culturel maritime contemporain, un lieu de référence ouvert sur le monde comme sur son temps, un forum permettant la rencontre et l'échange autour des enjeux qui parcourent la planète bleue ».

École des arts joailliers : un écrin de papier

L'École des arts joailliers, dont l'ouverture prévue en octobre a été reportée à dans quelques semaines, ouvrira, dans le même temps, sa librairie-boutique l'Escarboucle. Au prochain printemps, cette librairie-boutique (30 m2) sera complétée par une bibliothèque et une grande librairie sur rue (210 m2), au pied de l'École et des espaces d'exposition, dans le sublime hôtel particulier de Mercy-Argenteau (16 bis, boulevard Montmartre à Paris). Un lieu entièrement dédié aux bijoux ; c'est une première en France, mais aussi dans le monde. « C'est une maison qui a une âme », explique Daniel Mitchell, le libraire de l'Escarboucle.

Véritable cabinet de curiosité, la librairie-boutique comme la future librairie proposeront non seulement un riche catalogue de livres de référence neufs et anciens (4 000 références) sur le thème des pierres précieuses, de la joaillerie et de la gemmologie, mais aussi des objets, des bijoux (de 3 000 € à 10 millions €), des décors faits de flore et de natures mortes. Pour la jeunesse, les idées fusent et le libraire Daniel Mitchell (qui a travaillé pendant 17 ans dans le rayon beaux-arts de Galignani) imagine présenter des livres qui entremêlent les références : Martine fait du théâtre, Les bijoux de la Castafiore, le Sarah Bernhardt de la série Lucky Luke... Cette librairie s'inscrit comme un lieu d'exception dans un paysage de luxe, comme de transmission de savoirs. 

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