5 janvier > Récit Suisse > Catherine Safonoff

"Comment ça va ? Vous écrivez ?" C’est ainsi que Monsieur Z., addictologue, accueille sa patiente, la narratrice, la "citoyenne genevoise Safonoff". On avait déjà rencontré une version de ce duo-là dans Le mineur et le canari (Zoé, 2012) où une écrivaine suisse septuagénaire, en dépression, fantasmait sur son psychiatre. Des dizaines de séances plus tard, elle est sortie du trou mais a toujours besoin de lui, de leurs rendez-vous espacés mais réguliers. "Et comment va votre écriture ?" demande donc à chaque début de séance le thérapeute. Précisément, la narratrice se plaint d’écrire peu et trop lentement. D’être dans une impasse. En bon papillon de nuit, c’est entre deux et trois heures du matin qu’elle s’acharne sur son ordinateur récalcitrant. La distance de fuite est le fruit de cette lutte, une chronique qui donne accès, derrière les petites trappes du présent et du quotidien, à l’étendue du temps passé, aux souvenirs d’une vie à aimer, lire et écrire.

Les saisons se suivent. L’écrivaine subit les visites de Léon, son ex-compagnon rencontré en 1961 dont elle occupe la maison avec jardin, son refuge, sa tanière. Elle relit Erri De Luca, Annie Ernaux, Colette, Giono, Pascal Quignard à qui elle emprunte la définition de cette "distance de fuite", Charles Ferdinand Ramuz dont elle s’apprête à recevoir le prix qui porte son nom. Elle parle de "réessayer Proust". Découvre le plaisir d’adresser la parole à des inconnus dans la rue ou dans le bus. Quand on lui propose l’animation d’un atelier d’écriture en prison, elle accepte (avant de paniquer) parce que la prison fait revivre N., le voyou d’Egine, le Capitaine Rouge dans Au nord du capitaine (Zoé, 2002). Et qu’elle se souvient de ses premiers mots prononcés en anglais : "je suis libre sur parole".

Rien n’altère la dérision, l’honnêteté acide avec laquelle l’auteure, "si consternée d’être vieille", continue de frayer avec les "tout petits riens heureux" comme avec la noirceur des choses. L’écrivaine reste obstinée à réinventer l’île jusqu’au bout, comme l’affirme le titre de l’essai critique que la journaliste littéraire Anne Pitteloud consacre à son œuvre (Zoé, à paraître le 5 janvier). V. R.

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