17 août > Roman France

Il est des poètes qui sont éternellement jeunes, attirant à eux chaque nouvelle génération de lecteurs. Arthur Rimbaud est de ceux-là, qui incarne l’insurrection faite poésie, le chant perpétuel de l’idéal et de l’aventure. Mais "l’homme aux semelles de vent" est mort selon d’aucuns bien avant sa mort. Il cesse d’écrire à 20 ans et met les voiles du côté de l’Abyssinie et du golfe d’Aden. Trafic en tous genres, les rares écrits sont surtout des lettres à sa famille. La littérature, c’est fini. Agé de 36 ans, la jambe malade, il débarque à Marseille au printemps 1891. On l’ampute. Il repart avec une jambe de bois, mais son moignon lui fait mal, enfle, purule, et le voilà admis à nouveau l’hôpital. "La nuit en plomb fondu précède l’aube blafarde du fameux 10 novembre 1891 […]. Le jour enfin barbouille d’un gris clair le gisant fatigué, les mains roides, le nez pincé." Ce matin il respire encore, mais pour combien de temps ? Venue des Ardennes natales, Isabelle, sa sœur, est là, elle lui tient la main pour l’apaiser. Rimbaud dérive. Il est parti. Isabelle rapatrie le corps jusqu’au caveau familial, à Charleville. La messe est dite. Pas pour Thierry Beinstingel qui, dans son roman de rentrée Vie prolongée d’Arthur Rimbaud, a imaginé une autre fin.

Un autre moribond unijambiste séjournait à l’hôpital de la Conception de Marseille. C’est lui qui avait expiré en cette glauque journée d’automne. Quiproquo entre l’amputé décédé et l’amputé qui reprend du poil de la bête. Rimbaud découvre, stupéfait, sa propre nécrologie dans le journal. Cette méprise est une chance pour l’auteur du proverbial "Je est un autre", lui qui s’était fait le chantre du multiple et de l’altérité radicale, c’est l’occasion ou jamais. En échange de son silence sur cette monumentale bourde compromettante pour la carrière du directeur, il obtient de celui-ci son appui matériel pour changer d’identité. Faux papiers et un peu d’argent. Rimbaud disparaît. Devient Nicolas Chabanis, "l’ami de votre frère en Afrique", écrit-il à Isabelle, et épuisera dans les pages de Beinstingel ce reliquat de vie jusqu’en 1921, en traversant la Première Guerre mondiale et en faisant des affaires.

Le romancier rimbaldien signe ici une réflexion subtile sur la poésie et le réel, l’immarcescible fraîcheur du regard : "Les poètes ne meurent jamais."Sean J. Rose

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