6 et 13 mars > Littérature Autriche

D’un conflit mondial à l’autre, l’œuvre de Stefan Zweig (1881-1942) s’est élaborée sur le souvenir d’une Europe entraînée à sa ruine. Deux correspondances viennent éclairer la personnalité de l’écrivain autrichien. La première s’engage avec un monstre sacré des lettres européennes aujourd’hui un peu perdu de vue, Romain Rolland (1866-1944), grand mystique du Vieux Continent, salué par le prix Nobel de littérature en 1915. Stefan Zweig lui écrit en 1910, après la lecture de Jean-Christophe, jusqu’en 1940. Pas loin d’un millier de lettres vont être échangées entre ces deux géants persuadés que l’on peut adoucir la violence par les mots et l’attention que l’on porte aux hommes.

Ce premier volume d’un ensemble de trois constitue l’aboutissement d’un travail commencé en 2004. Etabli, présenté et annoté par Jean-Yves Brancy, il permet de saisir la montée des périls. On y voit aussi comment l’amitié se fertilise dans l’adversité. Zweig, qui écrit en français, passe à l’allemand pendant les trois premières années de la Grande Guerre à cause de la censure, jusqu’à son installation en Suisse en 1917.

Les deux écrivains commentent leur temps, ils se commentent aussi dans une estime réciproque. Tels deux observateurs d’un monde qui se délabre autour d’eux, ils souffrent à l’unisson de cette épidémie de haine. La mort de Péguy laisse Zweig consterné. "Jamais l’Europe ne saura ce qu’elle a perdu dans ces batailles tant il est vrai que les listes des morts ne sont que des noms !"

Que peuvent ces deux intellectuels qui résistent au bourrage de crâne ? Que peut leur humanisme éclairé dans ce siècle débordé ? Romain Rolland campe sur son humanisme et son pacifisme. Zweig doute. "Qui empêchera une telle situation de se reproduire ?"

La réponse se trouve dans les 82 lettres annotées par Dominique Laure Miermont. Dans l’échange épistolaire qu’il a avec Klaus Mann (1906-1949), Zweig représente le grand écrivain. Le fils de Thomas Mann est un peu plus chien fou, intraitable avec les nazis. "Vous reculez !" lui lance-t-il. "C’est avec plaisir que je serai des vôtres, à condition que la revue n’ait pas un caractère ouvertement agressif." Les mots de Zweig datent de 1933. En 1938, il a changé. "Mon propre cadavre m’intéresse nettement moins, il n’a pas envie de s’éterniser dans un monde où l’infamie piétine tout de ses grandes bottes." La conversation entre ces deux écrivains exilés s’achève. Stefan Zweig se suicide au Brésil en 1942. Klaus Mann fait de même sept ans plus tard à Cannes.

Laurent Lemire

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