Un récit presque mythique fait du livre un élément qui rassemblerait des acteurs différents dans une « chaîne ». Au-delà des divergences spécifiques, chacun formerait un maillon solidaire des autres. Que penser de ce « récit » notamment du point de vue des bibliothèques ? Le thème de l’interprofession a survécu à des moments de forte crise : prix unique, loi sur le droit de prêt. Il n’exclut pas des tensions récurrentes inhérentes à la fonction spécifique occupée par chacun des acteurs : création, vente, prêt. Mais le récit demeure grâce à la formation (les IUT « métiers du livre » font se rencontrer libraires, éditeurs, bibliothécaires). Il se réactualise à l’occasion d’événements de célébration du bien commun : fêtes du livre, salons, rencontres d’écrivains, etc. Il se réactive aussi en cas de difficultés d’un acteur : les bibliothécaires sont émus (ou appeler à s’émouvoir) de la situation de détresse d’un libraire ou éditeur. Mais quel sens spécifique prend l’invocation de l’interprofession pour les bibliothécaires ? Si la chaîne du livre part de l’auteur et va jusqu’au lecteur, l’interprofession réunit les éditeurs, libraires et bibliothécaires. Les auteurs ne sont pas perçus comme une profession, ils occupent une fonction essentielle, fondatrice du reste de la chaîne mais relèvent du domaine de la création artistique qui ne saurait s’inscrire dans des compétences prosaïquement professionnelles. Dès lors, la référence à l’interprofession, pour les bibliothécaires, revient à remonter la pente vers l’amont et donc vers la création. S’y référer c’est aussi s’y révérer c’est-à-dire puiser là une forme de légitimité par la proximité de la création. Quand un doute se fait jour à propos du métier de bibliothécaire, la chaîne du livre offre un réservoir de sens : il existe une production éditoriale « à défendre » contre une logique qui serait uniquement commerciale et reviendrait à nier la spécificité culturelle de leur activité. « Petits éditeurs », libraires indépendants sont des partenaires de cette œuvre collective consistant à promouvoir une certaine conception de la culture. L’inscription affirmée des bibliothécaires dans l’interprofession exprime une interrogation sur leur identité professionnelle. Celle-ci peut aussi s’appuyer en aval, vers les lecteurs : satisfaire leurs demandes variées, leur rendre service, faire de la bibliothèque un lieu réellement pour tous. L’interprofession donc mais avec modération…
15.10 2013

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