Livres audio

Livres audio : A l'offensive

Ecouteurs, casques - Livre audio - Audio - Photo Olivier Dion

Livres audio : A l'offensive

Développée par un nombre croissant d'éditeurs, la production de livres audio augmente en bénéficiant de la montée en puissance de la distribution numérique. Des mécaniques promotionnelles se mettent en place afin d'installer de nouveaux usages dans le public.

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Par Isabel Contreras
Créé le 29.11.2019 à 17h38

Boostés par la popularité des podcasts, les éditeurs de livres audio poursuivent leur course de fond à la conquête du marché. La production de CD et titres dématérialisés ne cesse d'augmenter dans le rayon adulte. Gallimard, avec sa collection « Écoutez lire », est passée de 56 titres en 2018 à 80 cette année tandis que Lizzie (Editis), en seulement deux ans, bondit de 100 à 180 titres en 2019.

Renforcer l'offre pour créer de la demande, la stratégie n'est pas nouvelle. Des éditeurs historiques de livres audio tels Audiolib, chez Hachette Livre, ou Audible, filiale d'Amazon, enrichissent leur catalogue depuis une dizaine d'années. « En élargissant l'offre adulte, nous voyons arriver de nouveaux publics. Notamment des jeunes qui s'intéressent à des titres en non-fiction », pointe Valérie Lévy-Soussan, P-DG d'Audiolib, leader dans le marché du livre audio en format physique.

Valérie Lévy-Soussan, Audiolib- Photo OLIVIER DION

Embouteillage de CD

De nombreux éditeurs pénètrent ce secteur, dont le potentiel économique ne fait plus de doute. « Nous guettons la rentabilité du livre audio », confirme Hermine Naudin qui coordonne, avec Sophie Grange, la production de livres audio chez Actes Sud. L'éditeur s'est lancé en mai à raison de deux à trois titres par mois. Quelques mois plus tard, l'Iconoclaste l'a suivi avec l'adaptation audio du dernier roman de Cécile Coulon. En parallèle, Guy Trédaniel a arrêté de céder les droits audio de ses titres dans l'optique de les produire lui-même.

Laure Saget, Madrigal- Photo OLIVIER DION

Autant de CD à défendre en librairie, là où les professionnels peinent à absorber une telle production sur leurs rayons, étant donné la faible demande actuelle. D'après GFK, le chiffre d'affaires du marché physique affiche une baisse de 8,5 % entre 2018 et 2019. La meilleure vente, toujours selon GFK, Michel Bouquet lit Jean de la Fontaine (Audiolib), s'est vendue à environ 1 300 exemplaires. Avec dix parutions par mois, Lizzie a entendu les retours négatifs des représentants. « Nous risquions d'encombrer les étagères. Puis les rotations étaient trop lentes », souligne Julie Cartier, directrice du label. Cette situation a poussé Madrigall à repenser sa stratégie. « Nous allons produire 4 CD par mois en 2020, contre 7 actuellement. Le choix des CD sera fait en fonction de l'actualité qui accompagnera la sortie : un film, un anniversaire... », explique la directrice du livre audio de Madrigall, Laure Saget. « Dans un marché qui n'est pas encore mature comme celui du livre audio en France, produire autant peut provoquer un éparpillement de l'achat, traduit par une vente moyenne au titre qui stagnerait voire baisserait », juge Arnaud Mathon, président de Sixtrid. Cet éditeur, autrefois distributeur de livres audio via sa plateforme sixtrid.com, avait déjà alerté sur cette situation l'an dernier.

Patrick Frémeaux, Frémeaux & Associés- Photo OLIVIER DION

L'engouement des éditeurs pour le livre audio s'explique par la popularité du téléchargement, principal levier de croissance dans le secteur. Tous pointent, à l'instar d'Arnaud Mathon, une progression « à deux chiffres » en numérique (1). Chez Frémeaux et associés, le cofondateur Patrick Frémeaux annonce +15 % et une réorientation de sa stratégie. « La vente de nos CD se porte très bien. Mais nous avons fait le calcul : il faut qu'on assure la vente de 600 à 700 CD pour amortir les coûts. Nous avons donc fait le choix d'une production 100 % numérique pour certains titres », souligne l'éditeur qui a enregistré cette année son premier ouvrage sous forme uniquement numérique, Réinventer son métier de l'anthropologue et auteure interprète, Sarah Roubato.

Emilie Mathieu, e-Dantès- Photo OLIVIER DION

Les Gafa à fond dans le numérique

Le rayonnement de ces livres audio dématérialisés est porté par une distribution numérique plus forte. Audible (Amazon), dont les professionnels interrogés estiment qu'il détiendrait 60 % des parts du marché numérique, annonce une croissance de plus de 108 % de son chiffre d'affaires de 2017 à 2018 (sans préciser de montant). De quoi aiguiser l'appétit des autres Gafa comme Google et Apple qui ont lancé en 2018 leur propre librairie numérique de livres audio en France.

Christine Villeneuve, Editions des femmes- Photo OLIVIER DION

À côté de Book d'oreille et Audioteka, d'autres acteurs se manifestent. L'application spécialisée dans la lecture en streaming, Youboox, a ouvert en septembre son catalogue aux audiobooks. Deux mois plus tard, Cultura a lancé sa propre plateforme de ventes numériques par abonnement. Les partenariats avec d'autres opérateurs se multiplient. Après Kobo, qui s'est associé avec Orange pour la mise à disposition d'une option « livres audio » dans les abonnements proposés à ses clients, Lizzie a fait jouer les synergies au sein du groupe Vivendi. Un livre audio est désormais offert à chaque abonné de Canal +, filiale du groupe. Si elles diffusent gratuitement des podcasts et des replay de radio, des applications comme Majelan songent aussi au livre lu. La Française Tootak va permettre prochainement à ses utilisateurs d'acheter des livres audio à l'unité.

Parmi les distributeurs, deux modèles économiques se font face. D'un côté l'abonnement à environ 10 euros par mois, donnant droit à un livre audio. De l'autre, les achats à l'acte, moyennant une vingtaine d'euros. « L'abonnement reste plus attractif pour des personnes qui n'ont pas encore fait l'expérience du livre audio », estime Eric Lafraise, chef de produit livre chez Cultura (Littérature et savoir).

Comme cela est déjà le cas en Italie, Audible souhaite aller plus loin et introduire le téléchargement illimité sur son site pour 9,95 euros par mois. « Mais nous comprenons que les éditeurs français ne sont pas encore prêts pour ce nouveau modèle économique qui nécessiterait de changer la base de calcul de rémunération, en y intégrant d'autres paramètres que le téléchargement du titre, comme la durée d'écoute par exemple  », explique Constanze Stypula. En face, Eric Marbeau, responsable partenariats et diffusion numérique de Madrigall, porte un autre discours. « Dès lors que le marché est en forte croissance, pourquoi se précipiter vers un autre modèle qui devrait réduire la valeur du produit ? », lance-t-il.

Les exclusivités chez Amazon

Les autres éditeurs français sont du même avis. Ils s'efforcent de développer des stratégies marketing pour accélérer la fréquence d'achat et ainsi installer les usages. Chez e-dantès, diffuseur de livres numériques, le catalogue de livres audio Hardigan réunit les titres d'une dizaine d'éditeurs partenaires dont Leduc.s, Bragelonne, L'Atalante ou Au diable vauvert. « Afin d'encourager les ventes, nous avons décidé d'aligner les prix des livres audio à l'unité avec les prix des abonnements. De cette manière, l'utilisateur a l'impression d'acheter un livre audio à environ 10 euros au lieu de 22. C'est une stratégie qui prend du sens quand le catalogue est composé de nombreuses séries, comme c'est notre cas », précise Emilie Mathieu, directrice générale d'e-Dantès. L'éditeur s'appuie sur le succès de la série Le sorceleur d'Andrzej Sapkowski, déjà adapté en jeu vidéo et en cours d'adaptation sur Netflix. D'après l'éditeur, le premier livre audio de cette série de trois volets a été téléchargé plus 3 000 fois depuis sa sortie en août. Elle était disponible en exclusivité chez Audible, une pratique courante.

La filiale d'Amazon obtient la mise en avant de certains titres pour une durée déterminée, ce qui apporte aux éditeurs une visibilité plus importante de leurs titres sur l'interface du mastodonte du numérique, dont le catalogue réunit plus de 11 000 livres audio. Lizzie a aussi permis à Audible d'accompagner la parution de Luca de Franck Thilliez en promouvant une nouvelle exclusive de l'auteur, Origines. Si Madrigall a également consenti à Audible l'exclusivité sur la distribution de plusieurs titres, le groupe a mis en place d'autres mécaniques commerciales.

« Toujours dans le but d'attirer plus d'auditeurs, nous proposons des titres, souvent du fonds, à petit prix sur plusieurs sites de revendeurs pendant un mois », détaille Eric Marbeau. Madrigall a également mis à disposition des médias, libraires, auteurs, blogueurs, des extraits gratuits de leurs livres audio, comme La panthère des neiges de Sylvain Tesson ou Sérotonine de Michel Houellebecq. En outre, le prêt numérique en bibliothèque commence à accueillir des catalogues de livres audio, à écouter pour le moment en mode connecté.

La qualité d'abord

Les éditeurs veillent aussi à la qualité irréprochable de leurs ouvrages lus. « Les personnes qui testent un livre audio ne renouvelleront pas l'expérience s'ils trouvent l'enregistrement moyen, fait remarquer Julie Cartier. Il faut donc valoriser le catalogue avec une qualité irréprochable. » Les éditeurs font ainsi appel à des célébrités pour enregistrer leurs livres audio. Chez Gallimard, Le lambeau de Philippe Lançon a été lu par Denis Podalydès tandis que Le discours de Fabcaro a été interprété par Alain Chabat. Anna Mouglalis, Ariane Ascaride, Thibaut de Montalembert ou Guillaume Gallienne se sont récemment prêtés au jeu dans les autres maisons d'édition. Les éditeurs misent sur la puissance de la voix pour marquer les auditeurs par l'expérience sensorielle, quitte à organiser des mises en situation. Lizzie a proposé des lectures dans le noir chez Mollat ainsi qu'une soirée à l'Olympia (également propriété de Vivendi) avec Harlan Coben et le comédien qui lit son œuvre. Audiolib et Gallimard ont participé aux 100 ans de la librairie Coiffard, à Nantes, en installant des cabines téléphoniques dans la rue qui diffusaient des livres lus. Chez Audible, l'expérience est vécue à travers l'enceinte connectée d'Amazon, Alexa. L'éditeur a décliné le livre audio Malfosse, une enquête policière en jeu interactif.

« Les lectures à voix haute dans les festivals restent aussi un moyen de diffusion incontournable », ajoute Christine Villeneuve, co-directrice des Editions des femmes, qui dirige la collection pionnière « La bibliothèque des voix ». « Nos ventes sont considérables lors de chaque déplacement. Surtout, nous nous sentons accompagnées par un intérêt grandissant pour le livre audio. Des journaux comme Le Monde et Ouest France ont ouvert récemment une rubrique aux livres lus », poursuit-elle. Chez Ouest France, la chroniqueuse littéraire Florence Pitard revient sur cette nouveauté. « Comme les livres audio sortent peu après les livres papier, il m'arrive de plus en plus souvent de préciser leur parution. Il m'arrive même de ne « lire » certaines nouveautés qu'en livre audio, les comédiens sont souvent très bons et cela laisse autant de place à l'imagination »

Les podcasts, une stratégie marketing

Les éditeurs de grands formats s'associent à des professionnels du podcast pour réaliser des séries audio mettant en valeur leur production.

Justine Souque, consultante indépendante spécialisée dans l'édition et l'audiovisuel- Photo OLIVIER DION

Promouvoir ses auteurs par le biais des podcasts devient un levier marketing de plus en plus utilisé par l'ensemble des éditeurs. Flammarion a proposé en juillet pour la première fois trois podcasts thématiques sur sa -rentrée littéraire, animés par la journaliste Géraldine Sarratia. « Il s'agit d'une forme de communication novatrice que nous avons pu lancer avant même la parution des romans. Cela nous a permis de toucher autrement les professionnels du livre et le public au niveau national », explique la directrice du marketing de Flammarion, Laetitia Legay. A travers un site dédié, l'éditeur a mis en avant sur trois rubriques les livres avec leur argumentaire, des vidéos et des pod-casts. « Le canal du -podcast natif est l'occasion pour les éditeurs de faire découvrir leurs livres aux non-lecteurs, ou du moins aux lecteurs plus occasionnels », souligne de son côté Justine Souque, consultante indépendante spécialisée dans l'édition et l'audiovisuel. « Un auditeur nouvellement convaincu sera ensuite un excellent relais de promotion au sein de la communauté du son ou de ses pod-casts de prédilection ».

Spécialistes

Si Flammarion a travaillé avec des professionnels pour l'habillage sonore et la réalisation d'interviews, l'éditeur n'a pas souhaité s'associer à une structure existante, spécialisée dans la création de podcasts, pour diffuser ses contenus. Ce n'est pas le cas de la plupart des éditeurs qui ont goûté au podcast.

Chez Editis, la série baptisée « Des livres et moi » a été élaborée par Le Poste général, animé par son producteur Vincent Malone. Chez Leduc.s, c'est la webradio Radio Médecine douce qui a conçu avec l'éditeur « Pause », un podcast thématique sur des questions pratiques. Pour Eyrolles, « les coûts des podcasts étaient trop importants à assumer », explique la responsable éditoriale Joanne Mirailles. La maison a alors profité du réseau et de la réputation de sa directrice de collection et auteure maison, Anne Ghesquière, productrice du podcast « Métamorphose ». Les auteurs du catalogue sont régulièrement mis en avant dans ses interviews.

Bande sonore originale

Plutôt dans la création sonore, Lauren Bastide et son studio Nouvelles écoutes ont lancé « Primo », en coproduction avec Robert Laffont. Après un appel à manuscrits, l'éditeur a sélectionné trois premiers romans. Le podcast, seize épisodes dont chaque volet est diffusé toutes les trois semaines, permet de découvrir « les dessous de la vie d'un livre et d'une maison d'édition ». Une démarche qui s'apparente aux créations de -contenu sonore proposées par Audrey Siourd, cofondatrice de Volume sonore. Pour l'Iconoclaste, cette ancienne attachée de presse a imaginé la bande sonore originale du livre de Jean-Baptiste Andréa, un outil de communication pour la maison d'édition, qui l'a diffusée lors des tournées en librairie de l'auteur. « Mon défi consiste à créer de l'audio narratif, développe Audrey Siourd. A mon avis, les contenus sonores ne sont pas là pour se substituer à un média traditionnel, qui diffuse des interviews d'auteurs, mais pour créer des contenus nouveaux, des formats novateurs. » La consultante Justine Souque va plus loin sur la question des contenus proposés car « il faut préserver l'aspect qualitatif, la publicité ne doit pas phagocyter les podcasts ! ». 

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