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Loi Darcos : la BNF à l’épreuve de l’auto-édition

Loi Darcos : la BNF à l’épreuve de l’auto-édition

La loi Darcos incite la BNF à procéder à la collecte de textes numériques. Parmi ces derniers : les livres auto-édités, dont une partie non négligeable est jusqu'à présent introuvable dans les catalogues de l’institution. Un défi logistique et technologique.

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Par Fanny Guyomard
Créé le 16.11.2023 à 10h13 ,
Mis à jour le 16.11.2023 à 17h39

La loi Darcos, promulguée le 30 décembre 2021, ne fait pas qu’imposer des frais de livraison minimum à tout vendeur de livre neuf sur internet. Elle ajoute ces mots, à l’article L.131-2 du Code du Patrimoine, concernant le dépôt légal incombant aux personnes qui éditent ou importent des documents imprimés : « y compris sous forme numérique ». À la publication de l’arrêté qui rendra obligatoire cet article de loi, la Bibliothèque nationale de France (BNF), qui collecte depuis François Iᵉʳ des documents édités, importés ou diffusés en France, devra donc accueillir également les ouvrages numériques auto-édités.

La collecte de l’auto-édition n’est pas nouvelle. Une première étape avait été franchie en 2011, quand, en réponse à un député reprochant à la BNF de n’accepter ces livres auto-édités qu’au cas-par-cas, l’institution expliquait que jusque-là, elle ne conservait que des exemplaires de parfaite qualité et mis « en nombre » à la disposition d'un public, selon les termes d’un décret de 1993. Mais « consciente de l'importance de sa mission et afin d'éviter toute contestation dans l'interprétation du décret, la Bibliothèque nationale de France accepte désormais tout dépôt de livre dans le domaine de l'autoédition, dès lors qu'il est mis à la disposition d'un public excédant le cercle de famille, et ce quel qu'en soit le tirage. »

Point de relances

Problème, pointe un ancien conservateur de la BNF auprès de Livres Hebdo : l’institution ne fait pas un suivi étroit de l’auto-édition, notamment du service d'auto-édition d'Amazon (CreateSpace), alors qu’une équipe est dédiée à relancer les éditeurs “classiques” n’accomplissant pas leur devoir de dépôt – quelque 7000 relances sont faites chaque année. Le conservateur a ainsi repéré plus de 40 000 ouvrages manquants entre 2011 et 2019. « On pense capter la grande majorité (90%) de l’auto-édition française », nous répond pour sa part la direction de la BNF, qui précise qu’elle n’oblige pas les éditeurs à déposer leurs documents : son propos est de les convaincre de le faire. « Si un éditeur ne respecte volontairement pas ce dépôt, il encourt une amende de 75 000€. Mais elle n’a jamais été remise, pour ne pas fragiliser un éditeur. Nous faisons plutôt un travail de pédagogie pour convaincre les éditeurs d’être référencés dans notre catalogue », explique ce porte-parole.

La BNF estime donc que c’est aux plateformes d’autoédition d’informer les auteurs de leur devoir de remettre leur œuvre au dépôt légal. En 2021, le circuit de l’auto-édition représentait alors 25,4% des dépôts de livres imprimés. Presque 7000 étaient déposés par les auteurs eux-mêmes. Et 13 000 livres par les éditeurs à compte d’auteur : des sociétés qui proposent des prestations de fabrication de livres pour les auteurs, comme Books on Demand, le plus gros déposant de livres cette année-là, derrière l’Harmattan.

Automatiser le dépôt

Reste que 10% – voire plus – de l’auto-édition diffusée en France échappe à la BNF. L’entrée en vigueur de l’article 5 de la loi Darcos, qui va intégrer l’auto-édition numérique dans son périmètre, l’incite vivement à s’assurer du dépôt légal de toute édition numérique native. Comme les relances de l’ex-salarié de la BNF, qui estime qu’elle ne se donne pas les moyens d’assurer un dépôt légal exhaustif de l’auto-édition, et que « le refus de réclamer des ouvrages repérés et non parvenus à la Bibliothèque est de facto une exonération d’impôt. Un déli punissable de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 500 000 € ». Il a fait parvenir son dossier jusqu’à l'Agence française anticorruption (AFA).

Ce qui devrait faciliter le dépôt des ouvrages auto-édités, qu’ils soient imprimés ou non : une plateforme où les éditeurs et auteurs pourront déposer facilement ces fichiers. La création de ce logiciel est en cours, renseigne la BNF, qui vient de finaliser un outil similaire pour accueillir les œuvres du CNC. Il permettra de réaliser des économies sur les frais de port, le temps passé à ouvrir des milliers de paquets, à numériser les textes et les cataloguer… Mais suppose un vaste espace de stockage de ces données, et une solide sécurisation des fichiers. Tout un chantier.

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