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Macron, Nyssen, Orsenna et la bibliothèque redéfinie

Macron, Nyssen, Orsenna et la bibliothèque redéfinie

Le rapport Orsenna soulève quelques interrogations mais dévoile surtout une nouvelle vision des bibliothèques.

Erik Orsenna et Noël Corbin ont choisi de rédiger leur rapport « en hommage à Jean Gattégno, infatigable combattant pour la lecture publique ». C'est à la lumière de cette figure tutélaire que l'on peut commenter leur travail et l'ambition politique de laquelle il procède.

Jean Gattégno a été le premier directeur du livre et de la lecture du ministre Jack Lang. Il a beaucoup œuvré pour le développement du réseau des bibliothèques en France à la fois en achevant le maillage des Bibliothèques (devenues) Départementales de Prêt mais aussi en favorisant le mouvement de création de bibliothèques dans les quartiers des grandes villes. Par son action, il a à la fois entériné et soutenu une mutation en cours. L'idée de donner accès à la lecture à la population où elle se trouve et y compris auprès des publics qui seront qualifiés « d'éloignés » était déjà largement diffuse mais il lui manquait une reconnaissance par un discours politique et des actions fortes et visibles.

Mue des bibliothèques

Le rapport demandé par la ministre Françoise Nyssen a le mérite de prendre acte de la mue des bibliothèques. Elles ne sont plus seulement des lieux de la lecture et la notion même de culture est reconfigurée. Là où le mouvement de la « lecture publique » en France a mis l'accent sur la lecture et le document ainsi que sur une vision plutôt légitimiste de la culture, les bibliothèques ont aujourd'hui le souci du public en prenant en compte le fait que la lecture forme une pratique parmi d'autres avec une attention moins prononcée aux hiérarchies.

Les auteurs du rapport prennent l'exemple du projet de Vaulx-en-Velin qui repose sur une définition anthropologique de la culture portée par l'Unesco dans laquelle figurent « les modes de vie par lesquels une personne ou un groupe exprime son humanité et les significations qu'il donne à son existence et à son développement » (p. 18). Le terme de « troisième lieu » qui s'est développé en une dizaine d'année trouve toute sa place ainsi que l'insistance sur l'espace même de la bibliothèque. Plus de 35 ans après l'entrée en fonction de Jean Gattégno, ce rapport consolide une vision des bibliothèques qui s'installe et il va lui permettre de se développer.

Vision renouvelée

Il n'est pas anodin du tout pour l'histoire des bibliothèques de constater la nouveauté de ce discours politique. Le Président de la République supporte une vision renouvelée de la bibliothèque là où ces prédécesseurs n'avaient pas de vision ou portaient une version plus « classique » de cette institution.

C'est probablement de nature à soutenir des projets d'équipements et plus largement à renouveler l'image des bibliothèques. Elles changent et c'est bien que cela soit dit et su. Quel homme politique depuis Jack Lang jusqu'à aujourd'hui avait permis une telle exposition médiatique des bibliothèques ? C'est tellement rare que la presse nationale parle des bibliothèques qu'il faut souligner cette action qui vaut comme une large campagne de publicité que les bibliothèques ne peuvent pas (ou ne s'autorisent pas, au contraire des musées) se permettre.

On peut bien sûr regretter que la question des horaires d'ouverture et du dimanche ait eu tendance à résumer la médiatisation de la réflexion. Le rapport regorge d'idées et de témoignages concernant les espaces, les actions, le numérique, le personnel, etc.

Relevons quelques interrogations à ce travail riche et salutaire.

La vision de la bibliothèque développée dans le rapport est pleine d'ouverture. Il ne s'agit pas seulement de « lecture » et de « Culture » et c'est effectivement le cas. Dès lors, l'action des bibliothèques n'est pas réductible au périmètre du ministère de la Culture et de la Communication. Ce sont bien sûr des lieux de culture mais leur fonction sociale, éducative, économique, etc. déborde ce cadre étroit. Ne faudrait-il pas réfléchir aux modalités par lesquelles les bibliothèques pourraient être du ressort de plusieurs ministères à l'échelon national et de celui de plusieurs directions des collectivités au niveau local ? Ce serait là une source de financements pour cet équipement qui en a besoin pour le nécessaire élargissement des horaires d'ouverture.

La redéfinition des bibliothèques par les publics qui est régulièrement et fort utilement répétée suppose une prise en compte des publics les moins familiers. Si les bibliothèques doivent œuvrer  pour les « oubliés de la République » qui pensent que « 'ce n'est pas pour moi' » (p. 11) comme cela nous est rappelé régulièrement, il faut s'interroger sur les raisons pour lesquelles ils ont cette image de l'institution. Est-ce par le « dépôt d’œuvres des FRAC, développement des artothèques, conventions avec théâtres et salles de spectacles pour présenter la programmation, concerts de fin d’année avec les conservatoires, conférences et présentation de programmation pour les musées » (p. 64) qu'ils vont changer d'avis ? La question des publics doit être transversale à toutes les propositions des bibliothèques et particulièrement l' « action culturelle » qui fait l'objet du mise en visibilité sur place et dans les médias.

Le rapport souligne l'importance de la décentralisation pour l'action des bibliothèques. L'Etat ne peut agir qu'indirectement via des financements ciblés ou le support technique des DRAC. Mais que ce soit pour le numérique (offre de collections vivantes, support technique pour des projets d'offre dématérialisée, etc.) ou pour l'idée originale d'un label décerné « aux collectivités qui s'engagent pour la lecture publique » (p. 68), il y aurait besoin d'une référence centrale. L'Etat ne serait-il pas dans son rôle en prenant en charge cette fonction ? Le Service du livre et de la lecture n'a pas les moyens humains d'une telle action mais la BNF ne pourrait-elle pas y prêter son concours ?
 

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