3 mai > Littérature France > Gérard Manset

Depuis son irruption dans le champ artistique, avec le visionnaire Animal, on est mal, en mai 1968 - les deux événements n’ayant par ailleurs aucun lien de cause à effet -, Gérard Manset n’a pas changé d’un iota son mode de création: polymorphe (chanson, peinture, photo, littérature), foisonnant, totalement fidèle à sa vision du monde. Sombre, mais sans être triste. Et son public, quelques dizaines de milliers de happy few, l’a suivi dans ses diverses métamorphoses. Ils vont se délecter de ce très énigmatique Cupidon de la nuit, "olni" où l’artiste, mansetissimo, rassemble à sa façon un certain nombre d’éléments épars de son parcours, sous forme de fragments plus ou moins longs, et selon un ordre de composition par associations d’idées ou télescopages, musical peut-être. Tout sauf des Mémoires, en tout cas, et un gros opus que son éditeur n’a pas "genré" sur la couverture. Voilà qui convient parfaitement à l’auteur, l’homme aux baskets de vent apôtre des lisières, des chemins buissonniers, du bon plaisir considéré comme un des beaux-arts.

Les rêveries du promeneur solitaire d’une main, ses photos et ses carnets dans l’autre (à la fin du livre, la boucle se boucle, Manset décide de commencer à écrire: "J’allais écrire, tiens !"), il convoque un certain nombre de figures chères: son père, décédé, évoqué avec tendresse et pudeur, lors d’une partie de chasse, à qui il n’a jamais osé parler de ses "activités"; sa mère, âgée, artiste elle aussi, dont s’occupe Isa, l’infirmière. Ses filles: l’aînée (un peu distante), et Caro, la cadette, qui deviendra manager du chanteur-écrivain Raphael. Il n’y a pas de hasard, mais des affinités électives. Passe aussi l’ombre d’une Preciosa de Cuba. Il y a encore des "potes", Jacques ou Fabrice, qui consentent à accompagner le solitaire dans ses nombreux voyages (Brésil, Amazonie, Asie…), ou bien Antoine, le fan, "notaire vers Angoulême", qui accueille l’artiste à la maison et tente de le convaincre de monter sur scène, ne serait-ce qu’une fois… Bien d’autres ont essayé: no way.

"Oui, j’étais différent, écrit Manset. Je m’écartais et me préservais." C’est comme ça qu’on l’aime, avec ses certitudes et ses angoisses, son style baroque très maîtrisé, son humour, son talent - certains diraient son génie.

J.-C. P.

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