C’est décidé, on va évacuer. Depuis le temps qu’on en parle - les locaux, les politiques, les humanitaires. Les pelleteuses sont prêtes et vont bientôt raser ce vaste bidonville de "la Lande" faisant face aux blanches falaises de Douvres. Adieu la "Jungle" de Calais ! Les accords entre les autorités des deux côtés de la Manche prévoient qu’une partie des mineurs iront en Angleterre, les autres seront dispatchés aux quatre coins du territoire français dans des centres, où l’on fera le tri entre les "vrais" réfugiés et les migrants économiques.
Mais Hawa, une jeune Ethiopienne, protagoniste d’Une fille dans la jungle de Delphine Coulin, avec sa bande dont le fier Afghan Milad en blouson de cuir et son petit frère Jawad, et Elira une ado albanaise, ne l’entend pas de cette oreille. "Tout au long du chemin ils avaient laissé des éclats d’existence, des espoirs déçus, des amis oubliés - et parfois un doigt, un rein. […] C’était une histoire commune qui se racontait. Et toutes ces routes aboutissaient au même endroit, un point rouge sur la carte du monde. Leur point commun, c’était Calais, la jungle, leur pays, qu’on le veuille ou non." Leur pays et leur famille. Milad dont on ne connaissait pas l’âge véritable - peut-être plus de 18 ans - risquait d’être expédié dans on ne sait quel bled, lui qui n’avait qu’une idée en tête : passer en Angleterre pour étudier la médecine. Il fallait survivre à la démolition et trouver un autre endroit plus marécageux, en sursis.
Violence entre bandes rivales, brutalité des passeurs, inhumanité des conditions de vie (les filles de 14 ans préfèrent se mettre des couches de bébé plutôt que de traverser le camp la nuit pour aller aux toilettes de peur de se faire violer) mais aussi enfants continuant à jouer malgré l’hostilité et rires des adolescents qui se charrient… La lumière s’infiltre à travers les interstices. En même temps que le démantèlement de ces tentes de fortune et l’éradication de l’insalubrité, ce sont aussi des liens que l’on détruit. S. J. R.
