En organisant ce mois-ci un colloque sur le thème L’Ecrivain dans la cité, la SGDL me fournit un parfait point de départ pour ce blog. Récemment, une correspondante me demandait : « Est-il plus difficile encore pour un écrivain que pour un lecteur de base d'être dans l'ici et maintenant ? J'imagine que l'écrivain a besoin de s'abstraire du temps réel pour écrire, qu'il vit des personnages qui l'habitent, et que quelquefois, il doit se sentir décalé par rapport à ce réel, comme quand il entraîne son lecteur dans son monde. Et je pensais aussi au temps de l'écriture, le temps qu'il faut pour écrire... Le travail de l'écrivain me semble être toujours un travail sur le temps. » Elle a tout compris. Etre écrivain, c’est précisément instaurer du contre-temps (oui, avec trait d’union, SVP). J’en sais quelque chose, moi qui me partage entre mes chroniques (c’est-à-dire l’immédiat) et ma suite romanesque en cinq volumes – un parfait casse-gueule, puisque, lorsque le cinquième volume sera écrit, il est probable que tout le monde aura perdu jusqu’au souvenir du premier. *** Jusque vers 1914, en effet, le monde était lent. Ça durait au moins depuis Mathusalem, cette lenteur. A quelques rares moments d’accélération près. Et puis, en 1914, tout s’est précipité. Le monde est devenu pressé. Pressé de réaliser des catastrophes (et ce n’est pas fini). 1914, oui, je crois, c’est la date phare. A ce moment-là, Valéry caressait sa Jeune Parque et Kafka errait dans son Château. C’est ça, l’écrivain dans la cité. *** « Un écrivain « citoyen » est aussi obscène qu’un homme forniquant avec une dinde. » C’est de Richard Millet, dans son récent livre L’Opprobre . J’en ai pleuré de rire. Merci, Millet ! Richard Millet est parano et réac, Richard Millet en fait trop, Richard Millet prend la pose, dit-on. Moi j’aime Richard Millet parce qu’il est parano et réac, parce qu’il en fait trop, parce qu’il prend la pose, et parce qu’il est un des écrivains sérieux de ce temps. Vous nous emmerdez, à la fin ! Un écrivain, par les temps qui courent, est infiniment moins considéré qu’un grand couillon qui nage vite. Alors ne venez pas, en prime, nous faire la morale !
15.10 2013

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