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Moravia le dromomane

La Mongolie, un des trois voyages qu’Andrea Andermann et Alberto Moravia ont effectués ensemble. - Photo Andrea Andermann & Alberto Moravia/Grasset

Moravia le dromomane

Trois voyages majeurs du grand écrivain italien Alberto Moravia mis en pages et en images par son acolyte, le photographe Andrea Andermann.

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Par Jean-Claude Perrier
avec Créé le 23.10.2015 à 02h03

Alberto Pincherle, dit Alberto Moravia (1907-1990), avait fait sienne la formule de Baudelaire "partir pour partir". Mais contrairement au poète de L’invitation au voyage, qui bougea assez peu, il l’a mise en pratique. A partir de 1930, l’année de sa première sortie d’Italie, où il découvrit Paris et l’Angleterre, jusqu’à sa mort, il a effectué un voyage quasiment chaque année, avec même, en 1964, un tour du monde à sa façon. Moravia voyageait de façon compulsive, maladive presque - ça s’appelle de la "dromomanie", et c’est incurable, sauf par l’écriture, peut-être -, pour se dépayser "à la manière d’un somnambule ", expliquait-il, pour (se) fuir et aussi par peur de mourir. Illusion, bien sûr, mais ses voyages ont nourri sa vie et irrigué son œuvre.

Dominique Fernandez, qui a bien connu le grand écrivain italien, avance dans Alberto Moravia voyageur, une étude placée à la fin de l’album - il a également traduit les poèmes, souvent en prose, qui accompagnent certaines photos d’Andrea Andermann -, deux autres hypothèses : cloué par la tuberculose durant cinq ans sur son lit de souffrance, l’adolescent se serait juré de rattraper ses années volées ; et, ayant grandi dans l’Italie fasciste, oppressante, il aurait très tôt eu envie de prendre la tangente, d’aller voir ailleurs et de découvrir l’autre. Pour raconter ce qu’il voyait, "dire la vérité". Ecrivain "post-naturaliste", il avait pour maître en nomadisme le Gide du Voyage au Congo, dont il s’était promis de refaire le périple africain. Il a ainsi pérégriné dans tout le centre du continent.

Conçu par le photographe et réalisateur pour la télévision Andrea Andermann, qui fut le compagnon de voyage de Moravia de 1968 à 1980, le projet d’Allant ailleurs en était à sa première maquette quand l’écrivain est mort. Il paraît aujourd’hui. Rassemblant, avec l’esthétique d’un carnet de voyage (intransportable, compte tenu de son volume et de son poids !), les récits inédits de trois grands périples qu’ils ont effectués ensemble : en Mongolie (soviétique), au Yémen (marxiste), en Afrique subsaharienne. Voyage officiel pour le premier ("c’était juste parce que j’avais un crédit de roubles à dépenser", précise quelque part Moravia, non sans humour), nomades pour les suivants, surtout en Afrique. La petite troupe descend le Zaïre, le Congo, sillonne les déserts qui fascinent tant l’écrivain. Comme les gens, leur beauté, et cette nature omniprésente, prégnante jusque dans les mythes, les rites funéraires.

Le récit est toujours vivant, l’écriture, tenue, "sans aucun abandon", observe justement Dominique Fernandez. Partout, Moravia rêve de se perdre et se retrouve toujours. Alors il rentre à Rome, se remet à écrire. Jusqu’au prochain départ. Jean-Claude Perrier

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