« Ma vie avait un arrière-goût acide. Rien de beau ne s’y produisait. Il y avait parfois de petites réussites ponctuelles, mais, dans l’ensemble, c’était une foutaise assez décousue. La plupart du temps, ma vie se réduisait à une liste de choses à faire. Je m’agitais, je bossais, je consultais mes mails, je faisais les courses, je garais ma voiture, j’essayais de contenter ma femme et j’accueillais des réparateurs Darty. Mais je ne possédais rien de valable, ni la poésie du monde ni même ma propre puissance. J’étais un intermittent de l’existence. »
Entre Pierre et le monde, entre Pierre et son temps, entre Pierre et ses contemporains, ça ne va pas bien fort. Ce n’est pas que ce quadragénaire, consultant à « Right-In-The-Middle-Consulting », marié depuis de (trop) longues années à une Béné versée dans le « coaching » tous azimuts, soit mal à l’aise avec le réel ; ce serait plutôt le réel qui le serait avec lui. Pourtant, Pierre est un type qui acquiesce et n’oppose à l’oppression du quotidien rien d’autre qu’une assez formidable force d’inertie. Et aussi, car il a tout de même de petites joies, des balades nocturnes, son ami Bernard et son chien, croisés sur le Champ-de-Mars, la fréquentation d’un atelier d’écriture et bientôt, à l’occasion de ceux-ci, celle d’une certaine Hellen qui a des yeux vairons…
Pierre, ses plaisirs et ses jours sont au cœur de ce deuxième roman de Pierre Lamalattie, Précipitation en milieu acide. Le premier, 121 curriculum vitae pour un tombeau (L’Editeur, 2011), loué par une bonne partie de la critique, permit de découvrir un alter ego en désespérance sarcastique de Michel Houellebecq (dont Lamalattie fut le congénère à l’école d’ingénieur agronome, l’ami et le modèle pour le personnage du peintre dans La carte et le territoire). Si le « sujet » n’a pas changé (quelque chose comme la grande dépression du mâle blanc occidental en milieu urbain), si l’on ne peut toujours pas déceler une quelconque complaisance dans l’ironie désespérée de l’auteur, en revanche, on y discerne une humanité plus grande, une tendresse « malgré tout » des plus bienvenues. Ce n’est pas que Lamalattie soit réconcilié, c’est plutôt qu’après tout, il n’était pas vraiment fâché.
Olivier Mony