11 février > Roman Uruguay

Uruguayen âgé de 46 ans, Pablo Casacuberta nous avait enthousiasmés l’an dernier avec Scipion, une histoire de relations père-fils, de problématique transmission, pleine de causticité. Deuxième roman traduit par Métailié mais chronologiquement antérieur, Ici et maintenant, paru en 2002, porte le titre de l’austère revue scientifique à laquelle est abonné le héros et narrateur, Maximo, 17 ans. Un garçon solitaire et maniaque qui compte ses premiers poils au menton et dont les embardées hormonales commencent à perturber le contrôle d’une mémoire saturée de détails de culture générale. C’est le genre d’adolescent monté en graine qui accueille les changements physiologiques à l’œuvre dans son corps avec un mélange de curiosité, de honte et d’"irritation lassée". Et qui n’assume pas, en particulier, son prénom rare, "vieillot" et trop grand pour lui. Depuis que son père a quitté le foyer sans laisser d’adresse, il est "l’homme de la maison", comme dit sa mère qui l’exhorte à raser ses prémices de barbe. Il dépense en outre beaucoup d’énergie à déguiser en mépris plus ou moins agressif la jalousie que lui inspirent le trop présent oncle Marcos et "le nain", son petit frère de 9 ans.

C’est l’été, la saison des grandes transitions. Et la candidature à un job de portier à l’hôtel Samarcanda, présenté sur l’annonce comme un établissement "de classe internationale", va précipiter une inéluctable mue. En vingt-quatre heures, l’adolescent verra son monde ancien ordonné basculer avec la rencontre des deux tenanciers, une gironde et plus que prévenante Suissesse et son vieux mari boiteux. Le temps d’une journée et d’une nuit mémorables, Maximo va apprendre la douceur, une empathie inédite, une souplesse qui va amollir ses certitudes, redéfinir valeurs (le "correct", le complémentaire, le contradictoire, le disjoint) et priorités (l’ici et maintenant). Comme si mûrir consistait à déplier et déployer la conscience de soi. Etait moins une accumulation de données et d’expériences qu’une mise en relation physique et spirituelle avec plus grand que soi.

L’ironie est ici moins débridée que dans Scipion, malgré quelques scènes comme celle de l’essayage de l’uniforme de groom. La tonalité de ce spirituel roman d’apprentissage est plutôt à l’image de la tentative de rasage à la mode traditionnelle : d’un ridicule attendrissant et tragique. Les hommes que côtoie et croise le jeune Maximo sont comme autant d’options possibles de virilité. Certains d’entre eux, modèles aimables, dégagent l’odeur légère, familière et calmante de "l’eau de lavande" que portait le père. Et Pablo Casacuberta a beaucoup de nez pour respirer la note de fond du parfum de ces hommes-là.

V. R.

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