Six collections qui ont marqué l’édition/1

"Que sais-je?", l’encyclopédie en tranches

Olivier Dion

"Que sais-je?", l’encyclopédie en tranches

Dès sa création en 1941, la collection emblématique des Presses universitaires de France remporte un vif succès. Si bien qu’après la Seconde Guerre mondiale, elle s’impose à l’étranger et inspire de nombreuses autres initiatives éditoriales. Premier volet de notre série consacrée à six collections qui ont marqué l’histoire de l’édition française.

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Par Cécilia Lacour,
Créé le 18.05.2018 à 13h30

1941. La France est occupée. Les marchés extérieurs fermés. Le papier commence à manquer. Les Presses universitaires de France (Puf) sont endettées. Leur principal actionnaire, la Banque des coopératives, a fait faillite après le krach boursier de 1929. Pour pallier ces difficultés économiques, les Puf ont fusionné en 1939 avec trois éditeurs - Félix Alcan, Leroux et Rieder - sous l’emblème du "quadrige". Cela n’a pas suffi à tirer la maison d’affaire. "Trop peu de publications des Puf sont alors rentables", explique Valérie Tesnière, directrice d’études de l’EHESS et auteure du Quadrige : un siècle d’édition universitaire, 1860-1968 (Puf, 2001).

Acculé, Paul Angoulvent, ancien conservateur de la Chalcographie du Louvre, arrivé à la tête des Puf en 1934, doit imaginer un plan de redressement. Sa solution: créer trois collections bon marché et à rotation rapide pour faire vivre le fonds du catalogue. Si "Dynamisme" et "Bibliothèque du peuple" font un flop, "Que sais-je?" démarre en flèche.

Cette dernière s’inspire de la "Collection Armand Colin" (1921), des "Classiques" de Larousse (1933) ou des "Pelican Books" de Penguin (Royaume-Uni, 1937). L’idée est alors de "proposer des petits volumes qui vulgarisent des thèmes dans l’air du temps", résume Julien Brocard, directeur littéraire de "Que sais-je?" depuis janvier 2015. Des "petits volumes" d’abord pour remédier aux restrictions de papier. Une seule feuille, au format de 120 × 160 cm, est pliée six fois pour obtenir quatre cahiers de 32 pages, soit un ouvrage de 128 pages au format 11,5 × 17,6 cm. L’une des marques de fabrique de "Que sais-je?".

"Coup de génie"

Avec la promesse de faire "une mise au point claire, précise, actuelle" sur un sujet, selon un encart publicitaire glissé dans les ouvrages, Paul Angoulvent vise une collection encyclopédique sans abonnement, relativement accessible sur le plan du contenu comme du prix. Chaque volume est envisagé comme un long article d’une encyclopédie imaginaire que les lecteurs élaborent au gré de leurs envies.

Surtout, le "coup de génie" de Paul Angoulvent est de "répondre à la demande d’un lectorat qu’il connaît, dans un format qui permet d’atteindre un autre public", salue Julien Brocard. En clair, l’éditeur ne s’adresse pas seulement à un public d’universitaires mais développe un "outil de formation continue" pour l’ensemble de la population française, selon Valérie Tesnière. Une population de plus en plus formée qui, avec le couvre-feu instauré pendant la guerre, n’a que la lecture comme moyen de divertissement et d’instruction.

En février 1941, les trois premiers titres de la collection - Les étapes de la biologie de Maurice Caullery, De l’atome à l’étoile de Pierre Rousseau et Les certitudes du hasard de Marcel Boll - sont tirés à 5 000 exemplaires chacun. Une cinquantaine de "Que sais-je?" sont publiés en France cette année-là, qui s’écoulent, tous titres confondus, à environ "200 000 exemplaires", estime Valérie Tesnière. Avec des sujets à dominance scientifique et médicale, les Puf ne sont guère inquiétées par la censure imposée par les Allemands. Seule exception: Les constitutions de la France de Maurice Duverger (1944) dans lequel l’auteur remet en cause la constitutionnalité du régime de Vichy. L’intégralité du stock est saisie par la Milice en février 1944.

Dans 44 langues

Grâce à ses parutions rapprochées, Paul Angoulvent impose sa collection dans l’Hexagone, mais pas seulement. Dès 1945, une agence générale pour la commercialisation des "Que sais-je?" sur le marché francophone est créée à Genève. Dans la foulée, l’éditeur négocie de gros contrats de vente de droits de traduction pour la Roumanie, la Pologne et l’Espagne. Près de quatre-vingts ans plus tard, "Que sais-je?" est diffusé en 44 langues et est "la collection de sciences humaines la plus traduite" au monde, à en croire Julien Brocard.

Son succès inspire de nombreux éditeurs qui développent des collections similaires, avec des fortunes diverses: "Wissen" chez C. H. Beck (Allemagne), "Very Short Introduction" chez Oxford University Press (Royaume-Uni), plus tard "Domino" chez Flammarion, "Essentiels" chez Milan, "128" chez Armand Colin… La liste est longue. Mais c’est surtout la collection "Repères", lancée en 1983 par La Découverte, qui constitue aujourd’hui un "vrai concurrent direct", avec "Folio essais" (Gallimard) et "Champs" (Flammarion), observe Julien Brocard.

Malgré la concurrence, "Que sais-je?" continue d’occuper une place forte dans le paysage éditorial français. Avec la publication de plus de 4 100 titres depuis sa création, la collection s’est vendue à près de "200 millions d’exemplaires" en France, estime Julien Brocard. Au point d’assurer, en 2015, presque le quart du chiffre d’affaires des Puf et de devenir, l’année suivante, une marque à part entière d’Humensis, groupe issu de la fusion des Puf et de Belin. Aujourd’hui, 700 ouvrages sont toujours disponibles et régulièrement mis à jour, à raison de 120 rééditions et 30 nouveautés par an. Si la collection a connu quelques évolutions, notamment graphiques, elle poursuit l’objectif de proposer un "catalogue vivant, à jour" et composé de long-sellers, assure Julien Brocard. Loin de vouloir couvrir tous les sujets, "Que sais-je?" se veut le "reflet des grands courants" de notre époque. Elle reste fidèle à l’idée de Paul Angoulvent: "avoir une idée claire sur un sujet en peu de temps". Et continue d’illustrer la maxime de Blaise Pascal: "Il est bien plus beau de savoir quelque chose de tout que de savoir tout d’une chose."

 

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