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Le 2 avril 2014, la Cour d’appel de Paris a jugé que le titre  Cinquante nuances de Grey n’est pas protégeable car il n’est que la traduction littérale du tire anglais Fifties Shades of Grey. En effet, le terme Grey, s’il peut désigner en langue anglaise la couleur grise, fait référence, de par l’usage d’une majuscule, à l’un des deux personnages principaux du roman, Christian Grey. Ils ont en conséquence rejeté les demandes de condamnation du livre Le décodeur de Cinquante nuances de Grey.
 
Rappelons qu’un titre est protégeable indépendamment de la protection de l’œuvre qu’il désigne. Le Code de la propriété intellectuelle (CPI) consacre bel et bien son article L. 112-4 aux titres d'œuvres. Il dispose que « le titre d'une œuvre de l'esprit, dès lors qu'il présente un caractère original, est protégé comme l'œuvre elle-même ».

Les titres peuvent donc bénéficier de la protection classique accordée par le droit d'auteur, sous réserve d'être originaux. Il faut comprendre ici que le titre original est protégé, que l'œuvre à laquelle il est attaché soit elle-même protégée ou non. La protection des titres peut donc être totalement autonome de celle des œuvres qu’ils désignent.

Pour apprécier l'originalité d'un titre, le juge devra se placer à la date de création. En effet, un titre original à sa création peut, par la suite, perdre de son originalité en devenant une banalité. Il est donc nécessaire de se situer dans le contexte de création du titre, et de se demander si à cette date il était original, comme l’a rappelé le Tribunal de grande instance de Paris, le 7 mai 1987.

Cependant, l'appréciation de l'originalité d'un titre demeure une entreprise fort incertaine. L’examen de la jurisprudence laisse perplexes tous les spécialistes du droit d’auteur.

Celle-ci a jugé originaux des titres en apparence très banals. Il en a été tranché ainsi par la Cour d’appel de Paris, le 25 septembre 1989, pour Le Chardon ou, par le Tribunal de grande instance de Paris, le 20 mai 1972, pour L'Affreux Jojo.

En revanche, l’originalité – et donc la protection par la propriété littéraire et artistique - a été déniée par le même Tribunal de grande instance de Paris, le 15 juin 1972, à Doucement les basses ou encore, le 27 mai 1982, à Tueurs de flics.

Quand bien même un titre ne serait pas protégé par le droit d’auteur – que cette protection lui soit déniée pour manque d’originalité ou qu’il soit tombé dans le domaine public –, il ne reste pas sans défense. Il peut bénéficier des règles de la concurrence déloyale. L'article L. 112-4 du CPI, pris en son second alinéa, lui accorde expressément cette protection : « Nul ne peut, même si l'œuvre n'est plus protégée dans les termes des articles L. 123-1 à L. 123-3 (c'est-à-dire si l'œuvre est tombée dans le domaine public, nda), utiliser ce titre pour individualiser une œuvre du même genre, dans des conditions susceptibles de provoquer une confusion ». Il s’agit là d’éviter les utilisations trompeuses de titres non protégés par le droit d’auteur.

La Cour d’appel de Paris est allée dans ce sens, le 8 juillet 1986, en faveur du titre Le Petit Missel de Jérusalem.

De même, pour que soit retenu le risque de confusion, la loi semble avoir formulé l'exigence que les deux œuvres appartiennent au même genre. Mais le terme « genre » est à entendre dans une acception large puisqu'un film et un livre peuvent appartenir au même genre au regard de la jurisprudence. Le procès de référence demeure celui des Liaisons dangereuses, film de Roger Vadim tiré du célèbre ouvrage de Choderlos de Laclos. Le 6 décembre 1966, les juges de la Cour de cassation ont soutenu la SGDL qui s'inquiétait des risques de confusion aux yeux du public entre deux œuvres sans grand rapport entre elles.

Toutefois, en vertu d’un jugement rendu le 14 décembre 1970 par le Tribunal de grande instance de Paris, le titre Jeu de massacre a pu être utilisé pour deux œuvres distinctes, en l'absence de toute confusion possible.

Il faut bien admettre que l’ensemble du régime de protection des titres, par le droit d’auteur comme par la concurrence déloyale, reste fortement critiquable dans son application. Et les décisions judiciaires, qu'elles prennent en compte l'originalité ou les notions de genre et de confusion, sont souvent sujettes à caution.

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