« Lors de la construction de la nouvelle bibliothèque municipale, en 1993, les élus ont souhaité la création de ce fonds pour rendre hommage aux habitants », explique Sami Khayati, responsable du fonds Chemin de fer. Car Saint-Pierre-des-Corps (Indre-et-Loire) vit au rythme des trains depuis 1855, date de son raccordement. Employé d’aiguillage, contrôleur, mécano, atteleur… jusqu’à 80 % de ses habitants travaillaient alors pour le rail. La nuit du 11 avril 1944, la ville en paiera le prix : les avions alliés y déverseront 1 200 bombes, afin de détruire ce nœud ferroviaire stratégique irriguant la moitié ouest du pays. La cité est alors rasée à 85 %. Elle sera décorée de la croix de guerre 1939-1945.
Le fonds Chemin de fer de Saint-Pierre-des-Corps est le seul fonds public de France consacré à ce sujet. Il permet aux lecteurs de voyager à travers l’histoire, de conserver la trace d’un savoir-faire industriel et celle d’une corporation, tissant une passerelle entre mémoire sociale et littérature. « Cheminot, c’est une famille, avec ses rites, son vocabulaire, ses gestes, son engagement syndical, souligne Claire Douroux, directrice de la bibliothèque municipale et directrice adjointe aux affaires culturelles. On était cheminot de père en fils. » Le train pèse toujours lourd dans la ville : Saint-Pierre-des-Corps, c’est 16 000 habitants et cinq millions de voyageurs par an (plus de neuf millions prévus en 2030).
« On était cheminot de père en fils »
La bibliothèque municipale consacre une partie importante de son budget à ce fonds avec, entre autres, l’abonnement à une cinquantaine de revues spécialisées, sur les 140 titres auxquels est abonnée l’institution. Après 30 ans d’existence, le fonds a fait son chemin chez les spécialistes, explique Sami Khayati : « Une universitaire américaine m’a contacté pour récupérer la photo d’une locomotive particulière afin d’illustrer la couverture d’un ouvrage. Je reçois aussi des romanciers, qui viennent consulter les guides Chaix pour retrouver un horaire ou un itinéraire précis, et bien sûr, des passionnés de train. »
Le fonds compte 15 000 documents (la bibliothèque en compte 24 000), tous répertoriés sur le CCF (Catalogue collectif de France) et consultables sur place ; une large partie est empruntable. Créé pour sauvegarder les savoir-faire du rail, il a d’abord été constitué de documents techniques (cartes, plans de locomotives). Il comporte aujourd’hui un rayon documentaire classé par thèmes : syndicalisme, entreprises, modélisme ; une sous-partie est consacrée au patrimoine ferroviaire, une autre aux techniques (moteurs, propulsions…) et aux trains mythiques. En examinant les étagères, on comprend à quel point le développement du chemin de fer a marqué l’Hexagone.
Au rayon fiction, on trouve Agatha Christie bien sûr, entourée de Pierre Bordage, Jean Anouilh ou encore Mattia Filice, l’auteur de Mécano (éditions P.O.L.). « Nous l’avons invité en rencontre le 17 octobre dernier. De nombreux cheminots sont venus l’écouter, c’était très touchant cet échange entre deux générations de professionnels, et il a été très ému. » Là aussi, la variété des auteurs présents témoigne de l’importance du train en littérature. « Le sujet est très rassembleur, on a des lecteurs de 7 à 77 ans, confirme Claire Douroux. Les ateliers affichent toujours complets ! »
Car Sami Khayati s’attache à faire vivre le fonds en organisant des animations, des expositions et des conférences. Il a renforcé les liens avec les associations de cheminots et les ferrovipathes (adeptes du tourisme ferroviaire), en particulier pour accueillir des expositions. La prochaine, prévue en mars 2024 en partenariat avec l’association Rail & Histoire, portera sur les femmes et le train. « Un fonds, c’est toujours encombrant et coûteux, souligne Claire Douroux. On ne le garde pas pour faire joli, il faut montrer son sens pour le préserver, et préserver les budgets. »
Sauvegarder les savoir-faire du rail
La bibliothèque consacre 3 100 euros d’acquisition par an au Chemin de fer, une somme qui peut être vite engloutie lorsqu’il s’agit d’acheter des beaux livres. Le fonds ancien présente des ouvrages, mais aussi des affiches, des cartes de réseau et des planches techniques, certains remontants aux années 1840. « Plus le fonds est connu, plus il s’enrichit, souligne Sami Khayati. Une entreprise de Saint-Pierre-des-Corps a retrouvé dans ses cartons une centaine de plans sur calque de locomotives Billard et a pensé à nous les donner. »
Parmi les enjeux à venir, la recherche de mécènes, pour assurer la numérisation complète des documents… et pousser les murs. Car le fonds s’enrichira cette année d’une donation de six cents pièces.