3 janvier > Récit France

C’est en 2006 qu’Andréï Makine a fait la connaissance de Jean-Claude Servan-Schreiber. L’écrivain d’origine russe, prix Goncourt pour Le testament français (Mercure de France, 1995), venait de publier Cette France qu’on oublie d’aimer (chez Flammarion), un pamphlet patriotique à rebours d’un certain air du temps repentant et autoflagellant, chant d’amour d’un immigré à son pays d’adoption. Le livre, les idées qu’il défendait, nourries par un vécu, ne pouvaient que toucher en profondeur le petit-fils de Josef Schreiber - un juif allemand émigré en France en 1877 -, officier combattant en 1940, renvoyé de l’armée parce qu’il était juif, entré dans la Résistance, réseau Combat, qui a ensuite participé à toutes les campagnes, jusqu’en Allemagne. Un vieux gaulliste (il avait 27 ans en 1945), un héros inconnu qui aurait détesté qu’on le qualifie ainsi : «son credo», écrit Makine, c’est «la légèreté». Elégance, modestie, discrétion, tout à l’opposé de ses cousins Servan-Schreiber, surtout Jean-Jacques, qu’il n’aimait guère.

De leur rencontre est née une amitié. L’écrivain est devenu le confident du vieux monsieur, qui lui a raconté, à sa façon, avec beaucoup de distance ironique, son itinéraire. Et Andréï Makine a réagi en toute logique, convainquant Jean-Claude Servan-Schreiber d’écrire ses Mémoires, afin de laisser trace, d’édifier les jeunes générations et de river leur clou à quelques défaitistes contemporains. Mieux, il s’est fait son agent bénévole, afin de lui trouver un éditeur prêt à se lancer dans l’aventure. Après quelques déconvenues (c’est l’un des passages les plus amusants du livre), Charles F. Dupêchez, directeur de l’édition chez Pygmalion, a relevé le gant. Tête haute : souvenirs est paru en mai 2010. Et a fait un flop total. L’auteur, apparemment, s’en est consolé. Son mentor, plus difficilement. Mais du temps a passé.

Aujourd’hui, Andréï Makine a eu la belle idée de raconter cette histoire dans un livre assez inclassable. Portrait sensible de son vieil ami, façon «parce que c’était lui, parce que c’était moi», évocation de son parcours, longues citations des notes qu’il a prises à chaud, aux combats, mais aussi réflexion à deux voix sur ce qu’est une patrie, ce qu’on lui doit, en particulier lorsqu’on est étranger devenu français, par nécessité ou par choix. Ecrivant sur Jean-Claude Servan-Schreiber, Makine écrit aussi sur lui, évoque quelques souvenirs de l’URSS et juge avec sévérité ceux, «communicants», «experts», tenants de la pensée unique, de la «pipôlisation», «clowns de la politicaillerie scénarisée», qui étouffent la voix de la France, bradent sa culture, maltraitent sa langue. Une France qu’ils «oublient d’aimer», comme dit Makine. Pas lui. Jean-Claude Perrier

Les dernières
actualités