La société de consommation, vous vous souvenez ? Cet épouvantail à moineaux des années 1970 n'intéresse plus personne, remplacé par des concepts plus "trendies" et qui, au fond, signifient la même chose (la marchandisation du monde et des corps, par exemple). Dans son dernier livre, Te rendre heureuse, sous couvert d'histoire d'amour et d'adultère, Christophe Tison célèbre tristement sa victoire.
De nos jours à Paris, un homme, la quarantaine, concepteur de jeux vidéo, endeuillé de sa jeunesse, des rêves de grand soir qu'elle portait, et de ses études de philosophie, ancien collectionneur de toutes les addictions possibles (désormais "clean"), aime une femme. La sienne, Lara, plus jeune que lui, infiniment plus sage aussi. Tout va à peu près pour le mieux dans le meilleur des mondes. Alors pourquoi cet homme amoureux ouvre-t-il la boîte de Pandore du désir et, profitant d'une absence de Lara, envoie-t-il un SMS à une autre femme (puis à d'autres encore, éclats de vie qui éclairent le piètre chemin de croix de l'adultère) ? Ne sait-il pas pourtant combien il est important d'être constant ? Et qu'est-ce qui le pousse à suivre ainsi sa pente morose ? Ne serait-ce pas l'incapacité à se refuser, quelles qu'en soient les conséquences, le plaisir (et la douleur) de la consommation ? Ce n'est qu'à la condition de répondre à ces questions que le narrateur, moderne Orphée aux enfers, pourra retrouver l'amour de son Eurydice. Il n'y a pas que le monde qui soit à l'envers, sa tête aussi.
De Christophe Tison, on n'a pas oublié l'abrasif Il m'aimait (Grasset, 2004) ou le non moins incommode Résurrection (Grasset, 2008). On retrouve avec une certaine gourmandise dans ce récit d'époque, plus littérairement apaisé, les "climats" de ce moraliste fitzgeraldien, dérives nocturnes, rencontres de hasard, aubes diaprées. Et à la fin, lorsque tout aura été consumé ou consommé, que reste-t-il ? Une épiphanie, l'amour, qui finalement ne s'achète pas. Ni ne se laisse oublier.