15 NOVEMBRE - ESSAI Brésil

C'est un texte bref, poétique, délirant et dérangeant comme la plupart des manifestes esthétiques. Oswald de Andrade (1890-1954) l'a écrit en 1928. Il fut publié la même année au Brésil et immédiatement salué comme un écrit fondateur du modernisme. Cet essai sur la tradition anthropophage doit aussi se lire comme une revendication politique, un coup de dent contre les colonisateurs et tous ceux qui hiérarchisent un peu trop vite les cultures.

"Seul m'intéresse ce qui n'est pas mien. Loi de l'homme. Loi de l'anthropophage." Fort de cette revendication, Andrade peut donc lancer son fameux "Tupi or not tupi, that is the question" en référence aux Indiens d'Amazonie. "Jamais nous n'avons été catéchisés. Nous vivons selon un droit somnambule." Et de voir les conquistadors comme les "fugitifs d'une civilisation que nous sommes en train de manger".

Bien sûr, Andrade en rajoute, c'est le but du jeu poétique, mais surtout il renvoie les ethnologues à leurs chères études et en appelle à "la transformation permanente du Tabou en Totem" dans une grande "Révolution caraïbe". ?uvre hallucinée et hallucinatoire, stances oraculaires pour une modernité rebelle, le Manifeste anthropophage peut aussi être vu comme une mise en garde contre le colonialisme en général, qu'il soit culturel ou économique.

C'est ce que fait brillamment Suely Rolnik dans Anthropophagie zombie, selon les principes de cette collection "PileFace". Professeure au Centre de recherche sur la subjectivité de l'université de São Paulo, philosophe, psychothérapeute et critique d'art, elle replace le manifeste dans son histoire. Elle explique comment ce mouvement anthropophage avec sa base dadaïste fut réactivé par les avant-gardes de São Paulo dans l'art brésilien des années 1920. Chez Andrade, l'acte de dévorer des Indiens devient une figure de style et un ralliement. Avec une sorte de jubilation, il souligne qu'on ne dévore pas n'importe qui.

Sur cette anthropophagie artistique, poétique et politique voici en tout cas deux textes qui se... dévorent.

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