15 février > Récit France > Lyane Guillaume

Bien mal connu des Occidentaux, l’Ouzbékistan moderne, ex-République soviétique devenue indépendante en 1991, fut jadis la Sogdiane d’Alexandre le Grand qui s’y choisit sa seconde épouse, Roxane, ou encore le pays de Tamerlan, considéré comme "le père de la nation" et dont le mausolée se dresse encore à Samarcande. C’est un Etat autoritaire, mais laïque, où les femmes sont émancipées depuis fort longtemps : elles suivent des études, travaillent, font du business. Quoique le pays soit musulman, s’y pratique un islam "soft", et le port du voile est interdit depuis 1998. L’avortement, lui, est légal depuis Lénine, en 1920. Au grand dam des religieux de tout poil, et d’un certain Vladimir Poutine, le puissant voisin.

Ce sont des femmes ouzbekes, devenues ses amies depuis quatre ans qu’elle vit à Tachkent (après l’Inde, la Russie, l’Ukraine et l’Afghanistan), que Lyane Guillaume a voulu célébrer, montrer dans leur quotidien et leur formidable indépendance (même transgressive), en leur donnant la parole. Elle a pris prétexte d’un gap traditionnel (rien à voir avec une marque de vêtements californienne, le mot signifie "parole" en persan), une réunion exclusivement féminine où ces dames s’empiffrent, picolent (ah, ce Bagizagan, le rouge local, qui a l’air de taper sur la coloquinte, surtout combiné à du champagne français), et surtout, surtout, parlent, racontent des histoires, les leurs ou celles d’autres femmes, parfois mortes depuis longtemps. Ainsi de Zoukra et Takhir, les Juliette et Roméo ouzbeks, aux amours tragiques, ou encore, plus près de nous, de l’illustre Tamara Khanoum, danseuse, chanteuse, comédienne, qui fut une "icône soviétique" et l’idole de tout le peuple ouzbek, bien qu’elle fût arménienne, et donc chrétienne. C’est là l’un des nombreux paradoxes de cet immense pays tout en longueur, qui s’étend de la mer d’Aral jusqu’à l’Afghanistan.

A la manière des Mille et une nuits, Lyane Guillaume tisse et entremêle son récit d’histoires dans l’histoire, drôles ou moins drôles, comme celle de Rano, la femme de ménage issue d’un milieu très modeste, qui a échappé au massacre de Ferghana, en 2005, quand les blindés ont écrasé la foule manifestant. Elle a dû épouser, contrainte, son cousin Mahmoud, mais l’amour est venu, et elle attend des jumeaux. Pour les mille autres histoires, rejoignons Tachkent et ses "gapeuses". J.-C. P.

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