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Un mauvais libraire

Un mauvais libraire

Bernard Joubert, l’auteur du Dictionnaire des livres et journaux interdits (éditions du Cercle de la librairie, 2e ed. 2011), réagit à la censure opérée par Apple qui exige la suppression d’ouvrages qui lui paraissent inconvenants de sa plateforme de téléchargement.

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Par Livres Hebdo
avec Créé le 11.10.2013 à 19h29 ,
Mis à jour le 11.10.2013 à 23h52

“Ce n’est pas loin d’être une rubrique régulière de la presse informatique : le bêtisier des censures pratiquées par l’App Store. On découvre toujours ces petites affaires avec étonnement. Décisions de robots incultes, de singes dressés à appliquer un règlement. On en rit, Apple se ridiculise. Mais l’accumulation finit par inquiéter. Il y a quelques années, c’était les applications imitant un bruit de pet qu’Apple supprimait de sa plateforme de téléchargement. Puis des livres et des journaux furent touchés par le biais d’applications permettant leur lecture : James Joyce adapté en bande dessinée, Françoise Sagan illustrée par Bernard Buffet, les dessins satiriques du prix Pulitzer Mark Fiore, l’accès au Projet Gutenberg parce que, parmi des milliers de textes anciens, se trouvait le Kama-sutra… Démarché pour être commercialisé sur l’App Store, Charlie Hebdo a refusé, devinant que les pressions seraient permanentes et la version numérique du journal incessamment tailladée par les intermédiaires. Car le plus grave, c’est l’autocensure que cherche à obtenir Apple. Il faut voir dans quel état finissent les bandes dessinées après caviardage. Cases recadrées, masquées, pages et épisodes supprimés. Ces jours derniers, dans le même temps où, en France, l’application Izneo était menacée d’exclusion et retirait un tiers de son catalogue BD (composé de 3 700 albums), son équivalent américain, ComiXology, anticipait la censure d’Apple et ne mettait pas en vente le n° 12 de Saga, édité par Image. Que cette soumission s’installe dans les esprits, et l’autocensure se répandra dans l’édition papier.

En arguant qu’un libraire est libre de choisir les livres qu’il propose à ses clients, les défenseurs d’Apple pensent répondre aux critiques. Non. Les clients ont aussi une liberté, celle de juger ce que vaut le libraire. En l’occurrence, il ne vaut rien, c’est un nul. Il vend des livres avec des pages arrachées. Beaucoup de gens entrent dans son magasin parce qu’il est bien situé, avec une grosse enseigne lumineuse qui attire l’œil, mais, pour ma part, je ne confie pas la présélection de mes lectures à un décérébré. Je préfère fréquenter les libraires intelligents, avec l’espoir qu’ils me transmettent un peu de leur intelligence. Et qui aiment les livres, fussent-ils numériques. On ne peut pas aimer les livres et agir comme Apple, c’est impossible.?

11.10 2013

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