4 novembre > Récit Inde-Etats-Unis-Italie

S’il y a bien un texte qui méritait de figurer au catalogue de la collection "Un endroit où aller", chez Actes Sud, c’est celui de Jhumpa Lahiri. Un récit autobiographique, constitué à l’origine d’articles qu’elle a publiés dans le magazine italien Internazionale, et qui retrace son long cheminement vers la langue italienne. Depuis les années 1990, où elle découvre le pays par Florence, avec un dictionnaire en guise de guide de voyage, puis Rome, Venise, jusqu’à son installation dans la capitale italienne en 2013, avec sa famille (dont son mari américain), et son acclimatation, au sens fort, en tant qu’être humain, et surtout en tant qu’écrivain.

Un glissement progressif vers l’italien, qu’elle avait étudié depuis une vingtaine d’années lorsqu’elle vivait aux Etats-Unis. Elle était devenue capable de le lire, de le parler passablement. De rédiger même quelques articles, de se traduire. Mais de là à écrire tout un livre dans cette langue pleine de chausse-trapes et riche d’une belle grammaire héritée du latin, le pas était immense. Le franchir s’est imposé à elle comme une évidence et En d’autres mots en est l’heureux résultat. Illustration manifeste d’un postulat partagé par tous les écrivains : leur patrie, c’est leur langue, surtout ceux qui ont une trajectoire personnelle riche et internationale, un parcours à travers plusieurs pays et cultures.

C’est le cas de Jhumpa Lahiri, qui se définit, non sans humour, comme "un pèlerin linguistique ". Et non une "exilée", mot-valise bien galvaudé. Pour se sentir en exil, il faut savoir d’où l’on est, et il semble qu’elle ne le puisse guère. Issue d’une famille indienne bengalie, dont les parents se sont installés aux Etats-Unis, elle parle encore leur langue avec les siens, mais seulement pour leur faire plaisir et par respect, sans la lire ni l’écrire. Et cette pratique disparaîtra à leur mort. Née à Londres, elle est devenue une romancière de langue anglaise, remportant notamment le prix Pulitzer en 2000 pour L’interprète des maladies (traduit au Mercure de France la même année, repris chez Folio). Elle avait passé le plus long de son temps, jusqu’ici, aux Etats-Unis, où elle a fait ses études, enseigné la fameuse creative writing. La voici aujourd’hui romaine et essayiste italienne.

L’histoire est passionnante et emblématique, contée avec simplicité - Jhumpa Lahiri explique que son style est bien plus sophistiqué en anglais - et modestie. Elle fera rêver ceux qui se dépayseraient volontiers, pour des raisons autres que fiscales. Le livre lu, on se pose une seule question : dans quelle langue Jhumpa Lahiri écrira-t-elle son prochain roman ? Jean-Claude Perrier

Les dernières
actualités