Correspondance/France 5 décembre André Breton & Paul Eluard

Conservée à la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, demeurée inédite à la demande des deux interlocuteurs (« à ne jamais publier », avait noté Eluard), cette Correspondance d'André Breton (1896-1966) et Paul Eluard (1895-1952) paraît enfin aujourd'hui, plus d'un demi-siècle après la mort du premier, et bien après que tous les autres protagonistes de la formidable et tumultueuse aventure du surréalisme sont morts également, dont il est abondamment question ici, ne serait-ce que pour les exclure du mouvement. Comme « cette canaille d'Aragon », écrivait Eluard en 1932, Philippe Soupault, Tristan Tzara, Salvador Dali (un « cas » objet de nombreuses polémiques et dissensions, en 1933), ou encore Max Ernst (très proche du couple Eluard-Gala) et Joan Miro, accusés en 1926 par Breton, pour avoir travaillé avec les Ballets russes de Diaghilev, d'être « vendus à la bourgeoisie ».

Quant à la longue et fraternelle relation entre Breton et Eluard, née juste après la guerre de 14-18, on la voit se déliter au cours des années 1930, jusqu'à la rupture de 1938, à la veille d'une autre guerre. Leur amitié n'a pas résisté à la bipolarisation idéologique de toutes les intelligentsias européennes : tandis qu'Eluard, communiste convaincu, était persuadé que l'URSS, en dépit de Staline et de son régime de terreur, constituait le seul rempart contre Hitler et ses alliés fascistes (configuration qui s'était vérifiée durant la guerre d'Espagne), et était prêt, en retour, à couvrir toutes les exactions du « Petit Père des Peuples », à l'instar d'Aragon ou de Picasso, Breton, plus « libertaire », plus proche de Trotsky, qu'il était allé rencontrer à l'été 1936 dans son exil mexicain, n'accordait à Staline aucune confiance. Le pacte germano-soviétique de 1939 devait lui donner amplement raison, même s'il semble que ce n'était qu'une feinte destinée à gagner du temps.

De cela, il n'est pas question ici entre les deux anciens amis. Eluard avait déjà rompu avec fracas et tristesse, le 12 octobre 1938 : « Je te demande donc de retirer mon nom du comité de rédaction de Minotaure (revue surréaliste éditée par Skira et Tériade NDLR), qui aura été ainsi le dernier témoignage de notre entente ». Dans sa réponse du lendemain, dernière lettre de leur échange croisé, Breton justifie ainsi son hostilité au communisme soviétique et aux « procès de Moscou » : « Il y allait pour moi de la signification même du surréalisme et de ma vie ». Ils reprendront contact après la guerre, mais rien ne sera plus comme avant, entre le « cher André » et son « cher Petit Paul ». Entre-temps, ils auront révolutionné la littérature mondiale.

André Breton, Paul Eluard
Correspondance : 1919-1938
Gallimard
Tirage: NC
Prix: 32 euros ; 464 p.
ISBN: 9782072796586

Les dernières
actualités