Pardonnez cher public adoré mon retard à fournir cette chronique qui se devait bi-hebdomadaire et que j’ai du mal à tenir chaque semaine. Mais après tout c’est de votre faute ! Vous fûtes si nombreuses chères blogeuses à répondre à mon long cri d’amour de la semaine dernière que je n’en finissais pas de vous répondre. Sans doute ces échanges sont-ils plus passionnants que ma modeste prose (démago !). Mais pour être franc, j’apprécie que le monde de la « livrosphère », vienne discuter ici sur le site des professionnels de la profession. Bon, j’en entends déjà qui râlent : au fait ! au fait ! OK, on y va, pas la peine de râler. A part la soupière de mousse au chocolat (à volonté), je ne connais guère d’autres plaisirs aussi délicieux que de lire le journal confortablement installé au soleil. Coup de chance, ce jour-là le soleil donnait sur le bon côté du 95, bus d’autant plus confortable qu’il était bondé et que j’étais assis. Une femme bonbon (elle était habillée en rose fluo, qu’alliez-vous imaginer là ? Mais il faut « faire style » comme dirait mon fils) accrochée à la barre métallique comme une moule à son rocher, empiétait sur mon confort. La repoussant légèrement j’allais déclencher une tornade. « Pourriez retirer votre pied qui salit mon pull. » Je dépliais ma jambe en levant les yeux au ciel. « Non, mais c’est pas vrai, vieux dégueulasse ! » Surpris par le propos (je m’étais douché le matin), j’osais un « C’est ça, c’est ça » vaguement ironique pour mettre fin à l’agression. Peine perdue, pendant le trajet entre les deux stations qui suivaient j’ai eu droit à : « Gros con ! », « Pédé ! », « L’a pas d’couilles », etc… Plus elle s’énervait, plus je souriais, l’excitant de plus belle. Certains des passagers s’insurgeaient du traitement qui m’était réservé, d’autres faisaient comme s’ils n’entendaient pas. Quand je me levai pour sortir, la furie me bouscula pour prendre mon (le) siège. Un peu troublé par l’injure, et presque autant par le calme que j’y avais opposé, je lui fis à travers la vitre un joyeux pied de nez. A cette occasion j’ai envie de vous parler de la colère, que l’on dit mauvaise conseillère mais qui peut aussi être saine. Si j’en ai été victime, elle s’est emparée de moi plusieurs fois ces derniers jours, qu’il s’agisse de politique, de littérature ou même de transports en commun. Selon le Dictionnaire historique de la langue française (Le Robert) : « COLERE n. f. est emprunté (v.1265) au latin impérial cholera « maladie, bile » puis, à basse époque, « colère » lui-même emprunté au grec kholera . » Voici donc un sentiment presque aussi dangereux que la peste et qui fait des ravages depuis plus de sept siècles. Et pourtant, désolé vieux Bob, même s’il m’arrive d’avoir toujours le même fonds bilieux, je suis de plus en plus en colère. OK, elle est mignonne et méritante Rachida Dati. On sent que ce petit chaperon peut se battre jusqu’au bout de la nuit contre le zy-vas. C’est assurément une courageuse. Mais ses projets (les siens ?) de lutte contre la récidive me foutent en colère. Ou plutôt le silence qui les entoure, comme s’il était… entendu une fois pour toute qu’on devait être toujours plus dur, toujours plus répressif. Je n’ai pas besoin de sondage pour savoir que les Français ont peur. Sauf que la peur, plus que la colère, est très mauvaise conseillère. Essayez de changer de point de vue pour comprendre les vrais enjeux. Les Français qui n’aiment pas les pédophiles ont très mal vécu l’affaire d’Outreau quand la justice s’en est prise à des innocents. Des innocents, comme eux. Depuis ? Plus rien. Rachida dit traitement psy pour les délinquants sexuels mais qui, mais quel budget ? Je lisais dimanche dans l’excellent JDD (soyons sport) un article passionnant de Dominique Coujard, président des Assises de Paris, qui commençait ainsi sa lettre à la Garde des Sceaux: « Imaginiez vous qu’un violeur récidiviste pût être condamné à une peine inférieure à cinq années de prison ? Imaginiez-vous qu’un meurtrier déjà condamné précédemment pour assassinat pût se voir infliger moins de dix années de réclusion criminelle ? » Alors pourquoi ces « peines planchers », si ce n’est rassurer le chaland. Et la mise en cause de l’ « excuse de minorité » qui risque d’envoyer en prison pour un an des jeunes récidiviste de 16 à 18 ans ? Car c’est de cela qu’il s’agit. Rappelez-vous les émeutes de 2005 ! Ah la prise de conscience vantée par les médias et les politiques (comme après le procès d’Outreau) ! C’est alors qu’on a constaté que les juges pour enfants de Saint-Denis étaient non pas laxistes mais débordés, que les structures d’accueil pour jeunes étaient très largement insuffisantes, que les psys étaient injoignables. Et depuis ? Rien. Ce n’est pas la deuxième fois qu’il faut sévir, c’est à la première infraction qu’il faut réagir, car dans le cas des jeunes c’est d’abord un processus éducatif plutôt que répressif qui peut aider le jeune mal parti. Avec cette mesure anti-récidive, il y aura combien de jeunes en prison de plus d’ici la fin de l’année? Mille, deux mille, trois mille ? En un an de prison, auront-ils appris à ne pas recommencer ou sortiront-ils la rage au cœur, après avoir été violés par des codétenus dans des espaces carcéraux déjà largement surpeuplés. Ma colère c’est que cette énième réforme va passer sans coup férir, sans réaction, sans manifestations. Pauvres enfants. La colère comme signe de l’impuissance ?
15.10 2013

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