De l'éloge poétique à la confession éthylique, de Baudelaire à Bukowski, l'alcool en littérature est un sujet. Il est au cœur de l'existence du narrateur de ce premier texte, Le fumoir. Mais un sujet peut en cacher un autre. Car si Marius Jauffret a un réel problème d'alcool, le vrai sujet de ce récit autofictionnel est la privation de liberté.

Vin, bière, whisky, gin... tout y passe, le jeune homme décrit sa dérive existentielle : « Boire est une nécessité sans saveur. L'alcool m'apporte une sérénité qu'il m'est impossible de trouver dans la lucidité, qui charrie inévitablement avec elle toutes les horreurs et les injustices de la société. Des injustices que j'absorbe et métabolise en acide sulfurique. » Son frère, Thomas, est pragmatique et réussit. Les parents sont loin à l'étranger, lui est seul dans sa vie, ou si peu accompagné, hormis par ses angoisses. Une scène d'amour dit toute la misère affective de la génération Tinder : coup d'un soir avec lendemains qui déchantent. Un jour, comme tous les jours, Marius se torche. La cuite de trop. Thomas par chance était là, il ne peut pas le laisser dans cet état, il l'embarque dans un taxi, direction l'hôpital. Sainte-Anne, l'hôpital psychiatrique, l'alcoolisme ne relève-t-il pas de la maladie mentale ? Marius a 2,5 grammes dans le sang. Il risque le syndrome de Korsakoff qui le transformera en légume à vie, disent les médecins. Il faut l'interner. Comment ça ! Thomas regimbe un peu. Puis signe l'HDT, le formulaire d'« hospitalisation à la demande d'un tiers ».

Marius est transféré dans un autre établissement avec obligation de soins et remise en liberté sine die. L'angoisse se double de désespoir. Ses « codétenus » sont fous, ou juste en burn-out, certains sont sympas, tels quelques-uns parmi le personnel aliéné par la routine. On va au fumoir, Marius a troqué le goulot contre le mégot. Il n'arrête pas de fumer, d'observer, de parler.

Il n'aura échappé à personne que ce primo-auteur porte le nom de Jauffret, comme Régis. Avec ces lignes de fuite barrées pleines d'ironie atavique, il est bien le fils de son père. À travers des lucarnes de description lumineuses, aussi singulièrement lui-même. Marius, un prénom à surveiller.

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