Avant-portrait

Il y a un contraste assez étonnant entre le phrasé et le timbre, posés, policés, équilibrés d’Agnès Vannouvong et le rythme, souffle court, qui tend ses romans où les mots vont vite. Comme si l’intellectuelle articulée qu’elle est avait besoin de la fiction pour lâcher des chevaux sauvages. "L’écriture me situe dans l’espace. Ecrire, c’est condenser le reste du monde, prendre contre soi la fureur du monde", note la narratrice de son deuxième roman, Gabrielle, une historienne de l’art, essayiste, dont on se dit qu’elle est peut-être l’un des visages d’Agnès V. "L’écriture, c’est une transposition", nuance l’intéressée qui admet romancer des éléments autobiographiques.

Saute-frontières

Agnès Vannouvong n’est donc pas Gabrielle mais elle a certains traits communs avec son héroïne de papier qui elle-même ressemble, avec quelques années de plus, à la jeune femme défaite, transformée en Don Juan en jupons, d’Après l’amour, son premier roman paru en 2013, dont ce deuxième titre est la suite chronologique. Même génération, même milieu, mêmes préférences, mêmes élans tourmentés. Un "je" inclus dans un "nous", un "on", plus large encore. Le "je" de la Parisienne Gabrielle qui, à 37 ans, après un long désert sentimental, rencontre, lors d’un colloque en Suisse, une femme de dix-neuf ans son aînée et en tombe violemment amoureuse. Gabrielle voudrait un enfant ; Hortense est déjà mère d’une fille de 10 ans…

Comme Gabrielle, Agnès Vannouvong est une nomade saute-frontières, une habituée du TGV Lyria qui lui permet des va-et-vient réguliers entre Paris, son camp de base, et Genève où, universitaire et auteure d’une thèse sur Jean Genet, elle enseigne les gender studies. Comme son personnage, la romancière s’approche elle aussi des rives de la quarantaine. L’heure des premières additions. Amitiés anciennes, amours intermittentes, célibat plus ou moins subi… "On avait fait des choix de vie, et la liberté avait un prix", constate Gabrielle, dans le roman, associant à son sort sa "bande" de potes, métropolitains de la classe moyenne, aux "identités fluctuantes", attardés dans une adolescence étudiante, connectés, cultivés, jouisseurs, mobiles… En couple depuis longtemps ou revenus de la conjugalité, mais tous confrontés à la question des liens qui durent, travaillés par le désir d’enfants.

Dans Après l’amour, arrivé au Mercure de France par les bons soins de Gilles Leroy, qui racontait une thérapie de choc après une rupture, il était surtout question de sexe compulsif, de prédation. Les acteurs ont vieilli, les lignes ont bougé et il s’agit à présent de dessiner les frontières d’une nouvelle géographie sexuelle, amoureuse et familiale, au temps du "mariage pour tous" et de l’homoparentalité. Mais si l’on peut lire les romans d’Agnès Vannouvong sous l’angle d’un offensif manifeste LGBT, ses fictions, où le désir est d’abord une affaire de corps avant d’être de genre, actualisent surtout un discours amoureux contemporain. Puisque, dans tous les cas, l’amour reste sans cesse à reconfigurer. Véronique Rossignol

Agnès Vannouvong
Gabrielle
Mercure de France
Prix : 16,80 euros
Sortie : 29 janvier
ISBN : 978-2-7152-3789-6

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