Bibliothèque

Anthony Marx : "Fournir tous les livres du monde à tous gratuitement"

Anthony Marx - Photo Jason Torres

Anthony Marx : "Fournir tous les livres du monde à tous gratuitement"

Le président de la New York Public Library, qui sera à Paris vendredi 14 octobre pour une rencontre exceptionnelle avec les professionnels français, nous livre sa vision des bibliothèques et des services qu’elles doivent apporter aujourd’hui et demain.

J’achète l’article 1.5 €

Par Véronique Heurtematte
Créé le 07.10.2016 à 01h32 ,
Mis à jour le 07.10.2016 à 07h07

Président de la New York Public Library depuis juillet 2011, Anthony Marx a fait de la démocratisation de l’accès à l’information et à la culture une priorité. Il a en particulier diversifié l’offre de service des bibliothèques et les a ouvertes plus largement.

Livres Hebdo — La salle de lecture principale de la New York Public Library vient de rouvrir. Un million et demi de livres réintègrent les magasins. La rénovation du bâtiment de la 42e Rue est-elle achevée ?

Anthony Marx — L’emblématique Rose Main Reading Room a en effet rouvert le 5 octobre après deux ans de travaux, en particulier la restauration des 900 éléments de plâtre qui ornent le plafond et ceux de la salle des catalogues Bill-Blass, adjacente. Nous voulons que cette extraordinaire architecture continue à être à l’avenir aussi inspirante qu’elle l’a été à son ouverture en 1911. Nous avons aussi achevé la création d’un second étage de stockage d’une capacité de 2,5 millions de volumes. Nous sommes en train d’y installer 1,5 million de documents. Ces travaux ainsi qu’un système d’acheminement des documents plus performant améliorent grandement le service rendu aux chercheurs sans changer l’aspect des bâtiments. Nous avons prévu la rénovation de surfaces peu utilisées pour ouvrir à l’avenir plus d’espaces publics.

Le plan qui prévoyait la création de nouveaux espaces et services pour le grand public a été abandonné en 2014. Etait-ce trop difficile de concilier la mission patrimoniale avec celle de lecture publique ?

Nous avons décidé d’abandonner ce plan pour plusieurs raisons, la principale étant la hausse des coûts de ce programme, mais pas en raison de la difficulté à concilier tradition et modernité car c’est ce que nous faisons constamment. Nous entamons par exemple la rénovation complète de cinq de nos bibliothèques historiques Carnegie et nous avons déjà accompli ce travail dans deux autres, les bibliothèques Washington Heights et Stapleton. Elles ont été magnifiquement rénovées de manière à préserver leur caractère architectural tout en répondant aux besoins actuels des usagers. En définitive, la décision d’abandonner le plan pour la bibliothèque centrale a débouché sur une nouvelle option très audacieuse : la modernisation de la Mid-Manhattan Library et une plus grande ouverture au public du bâtiment Stephen-A. Schwarzman de la 42e Rue. Notre équipe d’architectes, Mecanoo et Beyer Blinder Belle, travaille sans relâche à associer le "traditionnel" et le "moderne" pour parvenir à des espaces publics exceptionnels.

A quoi doit ressembler un service de lecture publique dans une grande métropole comme New York ?

La bibliothèque est un fondement pour une société civile informée, et d’autant plus à New York, capitale de l’ère de l’information. Nous devons fournir des espaces pour que des populations d’une grande diversité y viennent, s’assoient et travaillent ensemble, utilisent nos livres, nos ordinateurs, trouvent de l’aide auprès de nos bibliothécaires. Ces espaces doivent fournir plus de programmes éducatifs, de l’apprentissage de la lecture pour les plus jeunes aux cours d’anglais et d’éducation civique en passant par l’informatique et le codage. Nous devons conserver et rendre accessibles nos collections historiques et rares, et utiliser les nouveaux outils numériques avec pour objectif ultime de pouvoir fournir tous les livres du monde à tous gratuitement par l’intermédiaire des bibliothèques.

Quels sont les enjeux autour de vos collections patrimoniales ?

Préserver 53 millions de documents de manière à les rendre accessibles maintenant et dans le futur est une priorité et un réel défi. La bibliothèque a pris ces dernières années des décisions clés pour garantir sa préservation. La principale est la création d’un magasin de 50 000 m2 offrant de parfaites conditions de conservation sous Bryant Park, adjacent au bâtiment Stephen-A. Schwarzman. Avec ce nouvel espace de stockage qui s’ajoute à celui déjà existant pour former un ensemble appelé Milstein Research Stacks, le bâtiment de la 42e Rue peut abriter 4,3 millions d’ouvrages.

Comment ont évolué les pratiques de vos usagers ?

La mission de la New York Public Library n’a pas changé au cours des cent dernières années : offrir aux gens un accès libre et gratuit aux savoirs, à l’information et à l’éducation. Mais la manière dont le public accède à l’information a clairement changé, et donc la bibliothèque doit changer elle aussi. Nous devons offrir par exemple du Wi-Fi sur place, des bornes Wi-Fi à emprunter, des ordinateurs, des cours, des livres numériques. Nous avons aussi développé nos espaces dédiés à la programmation car de plus en plus d’usagers attendent des bibliothèques qu’elles soient non plus seulement des lieux où venir prendre des livres, mais aussi des centres offrant de multiples opportunités d’apprentissage.

Un récent rapport a souligné le mauvais état des bibliothèques de quartier. Qu’est-il prévu pour y remédier ?

Ce rapport a mis en évidence que la remise en état des antennes de quartier des trois réseaux de bibliothèques de la ville (1) nécessiterait 1,1 milliard de dollars de subvention municipale. Malheureusement, les bibliothèques ont longtemps été dépendantes d’un système de répartition des subventions imparfait et parcellaire, ce qui veut dire que les bibliothèques n’ont bien souvent pas reçu les fonds nécessaires et que leurs bâtiments se sont dégradés. Sachant que beaucoup de bibliothèques de la ville ont une centaine d’années, plus le temps passe, plus la situation devient critique. Mais nous sommes heureux d’annoncer que la municipalité nous a entendus. Le maire et le conseil municipal ont ajouté les bibliothèques dans leur plan décennal, ce qui n’était pas arrivé depuis très longtemps. Les bibliothèques ont reçu 300 millions de dollars qu’elles peuvent consacrer à des programmes de rénovation au cours des dix années à venir, alors que jusqu’à présent elles recevaient de petites sommes ici et là qu’elles devaient dépenser dans l’année. La New York Public Library a reçu pour sa part 100 millions de dollars qui servent à la rénovation complète de cinq bibliothèques Carnegie, comme je l’ai déjà mentionné, très populaires mais hors d’âge.

Ces dernières années, les baisses de subventions ont conduit la New York Public Library à réduire ses horaires d’ouverture. Où en êtes-vous aujourd’hui ?

Les trois réseaux de lecture publique de la ville, comme la plupart des institutions, ont souffert de réductions de budget, conséquence de la crise financière de 2008. La ville a progressivement coupé 65 millions de dollars au budget de fonctionnement des bibliothèques. La Public Library de New York a réduit ses horaires mais a réussi à maintenir une ouverture sur six jours. La situation a complètement changé ces dernières années. Le maire a restauré 43 millions du budget pour l’année fiscale 2016. En 2017, ils seront intégrés de manière permanente au budget des bibliothèques. C’est une victoire majeure mais qui n’arrive pas par hasard. Les services des bibliothèques aux habitants de la ville sont plus importants que jamais. Le livre reste au cœur de nos services, mais nous proposons aussi de l’aide à la recherche d’emploi, des programmes périscolaires, des cours d’informatique. Le public a compris que la plupart de ces propositions, complètement gratuites, sont irremplaçables. Donc, les habitants se battent pour leurs bibliothèques dans les périodes de négociation budgétaire en envoyant des lettres à leurs élus.

(1) Le service de lecture publique de New York est assuré par trois réseaux autonomes : New York Public Library, qui dessert Manhattan, Staten Island et le Bronx, Brooklyn Public Library et Queens Public Library.

Anthony Marx sera l’invité d’une rencontre, dans le cadre du Tandem Paris-New York, vendredi 14 octobre de 13 h 30 à 18 h, à la bibliothèque de l’Hôtel de Ville. Inscription : 01 42 76 48 87.

Les dernières
actualités