Le président sortant du SNE se félicite d'avoir introduit un début de régulation sur le marché du livre numérique. Il regrette de n'avoir pas su convaincre Bruxelles.

Livres Hebdo - Vous avez décidé de ne pas vous représenter à la présidence du SNE. Le rachat en cours de Flammarion a-t-il une incidence sur cette décision ?

Antoine Galllimard - Non, vraiment pas, d'autant que j'avais pris ma décision bien avant d'être candidat au rachat de Flammarion. Si j'ai souhaité ne pas me représenter à la présidence, c'est d'abord parce que je pense que c'est bien de passer le témoin. Pour moi, au syndicat, c'est d'abord le bureau qui compte. Je l'ai ouvert et renouvelé. Le nouveau président, Vincent Montagne, est issu de ce bureau dont il était l'un des vice-présidents. Mais, surtout, les dossiers sont aujourd'hui extrêmement complexes, et c'est beaucoup de travail. Pendant deux ans, j'y ai consacré un bon tiers de mon temps. Or, comme vous le savez, j'ai une entreprise... Ça ne serait pas sain de continuer comme cela. Mais j'ai accepté de faire partie du bureau et je continuerai à m'occuper plus particulièrement de certains dossiers urgents et sensibles, comme celui des oeuvres indisponibles, avec Sylvie Marcé.

Où en êtes-vous sur ce point ?

La loi instaurant la gestion collective des oeuvres indisponibles a été votée en mars dernier. Le ministère travaille, en concertation, à la rédaction de son décret d'application. C'est une bonne chose. Il faut maintenant créer la structure susceptible de mettre cette loi en application. Les discussions avec le Commissariat général à l'investissement ont pris beaucoup de temps, mais le schéma d'une structure interprofessionnelle, public-privé, dont le Cercle de la librairie serait l'actionnaire majoritaire, est fixé.Il reste encore à définir plus précisément l'implication de la Caisse des dépôts et consignations...

Quelles sont les réalisations de votre mandat dont vous êtes le plus fier ?

Globalement, je pense que j'ai redonné un souffle collectif au syndicat. Et j'ai fait de la concertation et du dialogue une priorité. Cela s'est manifesté par exemple dans les relations que nous avons pu nouer avec les traducteurs. Je suis heureux d'avoir signé, lors du dernier Salon du livre de Paris, un nouveau code des usages avec l'Association des traducteurs littéraires de France. Cela a été un vrai travail collectif, avec notamment le concours précieux de membres du syndicat, comme Dominique Bourgois, Liana Levi et du président du CNL, Jean-François Colosimo.

Plus précisément, en arrivant à la tête du SNE, j'avais trois objectifs liés à la régulation et au développement du marché du livre numérique  : l'adoption d'une loi sur le prix unique du livre numérique, cela a été fait avec la promulgation de la loi du 26 mai 2011 ; l'adoption d'un taux réduit de TVA pour le livre numérique, cela a été fait en janvier 2012 ; la mise en oeuvre de la gestion collective des oeuvres indisponibles, cela a été fait avec la loi du 1er mars 2012.

Je suis heureux aussi que nous ayons pu mettre fin au contentieux avec Google au travers d'un accord-cadre proposé par l'opérateur américain aux membres du SNE, conforme à notre appréhension de la propriété intellectuelle : c'est un progrès, car il reconnaît la nécessité de l'autorisation préalable à toute exploitation d'une oeuvre.

Le SNE s'est engagé dans des discussions internationales autour des normes présentes et à venir du livre numérique dans le but de promouvoir des formats ouverts, non propriétaires, et interopérables. Le Salon du livre de Paris, qui a accueilli cette année encore nos assises numériques, a pu être un lieu privilégié d'échanges entre les différents partenaires sur ce nouveau marché.

Qu'est-ce qui vous a le plus marqué au cours de ces deux dernières années ?

La nécessité, urgente, de démontrer aux politiques l'importance d'adapter à l'univers numérique les règles qui régissent le livre imprimé. J'ai essayé de les convaincre qu'il fallait absolument préserver la valeur de la création et de la médiation éditoriale par la régulation du marché.

Pensez-vous avoir été entendu ?

En France, je le crois, et c'est satisfaisant. En revanche, ce n'est pas le cas à Bruxelles, et j'en garde un vrai sentiment de frustration. Je n'ai pas réussi à convaincre complètement les autorités européennes que le livre numérique n'est pas un service, mais un produit culturel. Nous craignons de devoir subir très prochainement les foudres de la Commission européenne à propos du choix de l'Etat français d'adopter un taux réduit de TVA sur le livre numérique identique à celui du livre imprimé.

Avez-vous d'autres sujets de "frustration", comme vous dites ?

J'aurais aimé à la fin de mon mandat parvenir à la signature d'un accord avec le Comité permanent des écrivains (CPE). Un immense travail a été accompli sur le Code de la propriété intellectuelle et le Code des usages, autour du contrat d'édition à l'heure du numérique. Un texte existe. Le résultat de cette concertation est aujourd'hui remis en question par les auteurs, alors que de véritables avancées avaient été engagées de part et d'autre (un seul contrat, deux exploitations autonomes avec leurs propres modalités, une clause de rendez-vous). Je veux espérer que la prochaine réunion du CSPLA puisse nous permettre de nous engager dans une voie commune.

Malgré cela, j'estime avoir réussi à renouer le dialogue avec nos différents partenaires. Avec les libraires, notamment autour de la TVA, des usages commerciaux. Avec nos partenaires sociaux aussi : le débat a été rouvert, alors que tout était bloqué, et nous sommes arrivés à trouver un accord autour de minima conventionnels au-dessus du Smic.

Quels sont selon vous les principaux dossiers à traiter d'urgence aujourd'hui ?

La priorité reste la défense de la propriété intellectuelle et la préservation de la vision française du marché du livre. Le SNE doit être le gardien des règles qui ont fait leurs preuves et qui préservent la rémunération de l'auteur, de l'éditeur et du libraire. A côté de cela, il faut trouver le point de rencontre entre évolution des usages et offre éditoriale, entre diffusion, technique et création. Il faut que nous arrivions à faire du numérique un levier de croissance pour l'économie du livre et une opportunité de long terme pour la lecture et la diversité culturelle.

15.04 2015

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