5 novembre > Histoire de l’art France

Dans son Essai surle caractère des nations (1748), Hume explique la supériorité du peuple britannique par "l’admirable mélange de mœurs et de caractères" qui le constitue. Son trait de génie, c’est de manquer de caractère national propre, "à moins que ce ne soit un caractère de n’en avoir point". L’abbé François-Ignace d’Espiard de La Borde, contemporain du philosophe écossais et également auteur d’Essais sur le génie et le caractère des nations, ne dit pas autre chose au sujet des Français qui, n’ayant "point de style en particulier" en comparaison des Anciens (la civilisation gréco-romaine ayant été longtemps considérée comme l’acmé et les Italiens depuis la Renaissance, ses dignes héritiers, comme le modèle à imiter), étaient justement à même d’incarner l’élégance suprême. Tous ces débats autour de l’identité nationale qui ont fleuri à l’époque des Lumières s’inscrivaient dans le cadre de la théorie des climats, à savoir l’influence de l’environnement sur chaque nation et du terroir dans lequel chacun des peuples a pris racine. Et sous-jacente à cette théorie, le polygénisme ou l’idée d’une multiplicité de souches dont seraient issus des hommes et des femmes de différentes "races". L’émergence des Etats-nations à partir du xixe siècle allait asseoir cette vision racialiste dans le domaine des arts et lettres. Ce n’est plus ici "nature" versus "culture", mais la culture comme le fruit original qui a germé grâce au sang d’un peuple homogène. Le style devient alors l’expression du génie autochtone. Dans Les invasions barbares, Eric Michaud tente de tracer "une généalogie de l’histoire de l’art" et démontre comment la naissance de cette discipline est allée de pair avec une conception essentialiste de la culture.

Si l’histoire de l’art naît avec le récit de la vie des artistes et leur "manière" ou "école" tel qu’il est fait par Vasari, le thuriféraire de Florence, déjà Winckelmann oppose la décadence du baroque français qui a contaminé jusqu’à la cour de Saxe à la pureté de l’art grec, dont il voudrait que les Allemands se fassent les vrais héritiers et imitateurs. Le grand bouleversement s’opère vers 1800 avec une réhabilitation des "barbares", portée par les champions de l’idéalisme et du romantisme allemands (Hegel, Fichte, Schlegel) : ce ne serait plus Rome tombant aux mains de peuples germaniques sauvages mais le midi de l’Europe, ce Sud mol et décadent, enfin régénéré par le sang vigoureux des peuples du Nord. Et cette vision "clivante" d’une imperméabilité des cultures d’avoir ses avatars aujourd’hui encore dans un monde de l’art contemporain qui foisonne d’étiquettes ethnicistes ("Black", "African American", "Latino"), comme le montre l’épilogue de cet essai passionnant. S. J. R.

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