Interview

Benjamin Wood : “Les livres reflètent notre vie et notre identité”

Benjamin Wood, né en 1981, a grandi dans le nord-ouest de l'Angleterre. - Photo (c) Joseph Ford/Opale/Zulma

Benjamin Wood : “Les livres reflètent notre vie et notre identité”

Venu à Paris à l’occasion de la remise du prix du Roman Fnac 2014, qui lui a été attribué pour Le complexe d’Eden Bellwether (Zulma), Benjamin Wood a répondu aux questions de Livres Hebdo.

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Par Souen Léger
Créé le 02.09.2014 à 19h31

Mardi 2 septembre, peu avant midi, le jeune auteur britannique Benjamin Wood fait son entrée au Théâtre du Châtelet, à Paris. Il a traversé la Manche afin de recevoir le prix du Roman Fnac 2014, qui lui a été décerné pour son premier roman, Le complexe d’Eden Bellwether, paru le 28 août chez Zulma. Un livre envoûtant, qui explore les liens entre génie et folie. Livres Hebdo a rencontré cet écrivain aux allures de dandy pour évoquer ses personnages tourmentés, son passage par un programme de creative writing et son amour du livre.
 
Livres Hebdo : Le Complexe d’Eden Bellwether est votre premier roman. Il a été salué par la critique et vient de recevoir le prix du Roman Fnac 2014. Que représentent ces récompenses à vos yeux ?
 
Benjamin Wood : Elles représentent beaucoup. L’accueil a été incroyable en France, si bien que le livre semble y avoir trouvé une seconde maison. C’est un honneur d’être ici pour recevoir ce prix en tant que jeune auteur britannique, alors qu’il aurait pu être remis à un écrivain français, par exemple. Comme il s’agit de mon premier roman, je me sens incroyablement fier et reconnaissant.
 
Cette toute nouvelle célébrité et la promotion du livre vous conduisent à voyager et à vous livrer à toutes sortes d’exercices, telles que les séances de dédicaces et les rencontres en librairies ou en bibliothèques. Comment vivez-vous ces à-côtés du métier d’écrivain ?
 
"La couverture française de mon livre est définitivement ma préférée, je la trouve sublime".- Photo ZULMA
Je trouve cela très excitant de rencontrer des gens qui ont passé du temps avec les personnages que j'ai créés et d’écouter leurs retours. Chaque expérience me nourrit, d’ailleurs j’invite les gens à faire attention, ils pourraient se retrouver dans mes romans ! Je n’écris pas à plein temps, j’enseigne aussi dans un programme de creative writing à l’université de Londres, j’ai donc l’habitude de compartimenter et de trouver un équilibre entre ma vie d’écrivain et mes autres activités.
 
Avant d’enseigner, vous avez vous-même suivi une formation de creative writing, à l’université de la Colombie-Britannique, au Canada. Comment cette expérience vous a-t-elle influencé ?
 
Je sais que ces programmes sont très peu répandus en France, et il existe aussi des réticences en Grande-Bretagne, mais je ne peux que les recommander aux aspirants écrivains. Je suis allé au Canada pour suivre ces cours lorsque j’avais 23 ans, alors que je n’étais jamais sorti d’Angleterre. Ce fut une expérience très formatrice, d’une valeur inestimable.

Dans un environnement académique, l’expérience du creative writing fournit un cadre exceptionnel qui nous encourage à prendre notre travail au sérieux. Vous êtes en permanence avec un petit groupe de personnes, toutes intéressées par la lecture et l’écriture, et avides d’échanger sur ces sujets. Il est très difficile de trouver cette combinaison ailleurs. Dans le processus d’apprentissage, le plus important est de lire ce qu’écrivent les autres pour évaluer ce qui est efficace ou pas, et d’apprendre à lire comme un auteur.

La source média référencée est manquante et doit être réintégrée.
Dans Le complexe d’Eden Bellwether, vous flirtez avec le genre du campus novel en situant l’intrigue à Cambridge. En quoi ce lieu vous fascine-t-il ?
 
J’ai déménagé à Cambridge il y a sept ans. En tant que non-étudiant, j’étais intéressé par le fossé entre ce qu’il se passe entre les murs des colleges et en dehors, ainsi que par la coexistence de ces univers. Un ami m’a amené à la chapelle du Trinity College pour y écouter le chœur. Je travaillais déjà sur cette histoire de musiciens qui utilisent leur art pour influencer les gens, et j’ai réalisé que l’environnement du campus, avec ses colleges et ses chapelles, était idéal pour aborder l’aspect intellectuel et sentimental de la musique.
 
La musique est en effet un thème central du livre. Comment celle-ci a-t-elle influencé votre vie ?
 
C’est une longue histoire ! Quand j’étais plus jeune, je rêvais d’être Thom Yorke ou Jeff Buckley. J’ai quitté l’école à 17 ans. J’avais de bons résultats mais je souhaitais avant tout écrire des chansons et cultiver ma créativité. J’avais un groupe, je jouais de la guitare, et j’ai même été à deux doigts de signer un contrat, mais ça ne s’est jamais concrétisé. En 2008, j’ai enregistré des démos avec mon petit frère : vous pouvez encore les écouter sur iTunes, mais je vous préviens, c’est très déprimant !
 
Puis j’ai réalisé que j’ai toujours composé de la musique comme une façon d’utiliser le langage et de raconter des histoires. C’est pourquoi je me suis recentré sur l’écriture. Mais j’ai conservé l’envie d’écrire sur la musique et les musiciens, parce que je ressens une connexion très forte avec cet univers. Pour Le complexe d’Eden Bellwether, j’ai dû lire beaucoup de livres théoriques sur la musique classique, car je ne suis pas un expert.
 
Avec le personnage d’Eden, votre livre explore la frontière entre génie et folie. Il est intéressant de noter que le jeune homme se sent privilégié, éminemment supérieur, et vit un peu coupé de la réalité. Tout comme peut le faire l’élite sociale à laquelle il appartient. Existe-t-il un lien entre ce milieu privilégié et la pathologie d’Eden ?
 
Eden est en partie le produit de son enfance : très jeune, il est allé d’internat en internat, il a grandi dans un environnement fermé qui lui permis d’explorer ses domaines de prédilection. Mais sa sœur Iris a reçu la même éducation, ce qui ne l’empêche pas d’être davantage connectée à la réalité. Eden est tellement plongé en lui-même, tellement engagé dans ses activités intellectuelles, que tout ce qui compte à ses yeux est de prouver son intelligence aux autres.

Parmi tous ces personnages, lesquels vous ressemblent le plus ?
 
Je m’identifie à deux d’entre eux, à commencer par Oscar, bien sûr. Sa façon de voir le monde est très proche de la mienne à l’époque où j’ai écrit le roman, je voulais qu’il reflète quelque chose de moi. Mais il y a aussi beaucoup de moi en Herbert Crest, il est ce que j’aspire à devenir dans quelques années, car il s’est voué à la compréhension du monde. Voilà pourquoi j’écris, pour répondre aux questions sans réponse.
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Plusieurs de vos personnages sont des amoureux des livres. Que pensez-vous de l’évolution du marché du livre et de la montée en puissance des ebooks ?
 
Je ne suis pas contre les ebooks, mais je lirai toujours des livres imprimés. J’aime l’odeur, le toucher… Le papier a un effet magique, les mots ont plus de poids, et la concentration est à son maximum. Et puis les livres reflètent notre vie et notre identité. Mais je ne crois pas que les livres numériques soient une menace pour les livres papier, car il y a deux types de lecteurs : les bibliophiles, qui veulent garder le livre pour toujours comme un trophée de leur expérience, et les consommateurs de livres, qui n’attachent aucune importance à l’objet.

Mon seul problème avec les ebooks est qu’ils permettent à une grande quantité de textes, peut-être trop grande, d’être publiés, et ce sans travail éditorial. Mais bien sûr, du point de vue de l’auteur, l’ebook est une aubaine pour rendre son œuvre plus accessible.
 
La Grande-Bretagne connaît une vague de fermetures de librairies indépendantes. Est-ce un phénomène qui vous inquiète ?
 
Bien sûr, j’ai grandi dans le nord de l’Angleterre et je vous mets au défi d’y trouver une petite librairie indépendante ! Si Amazon et les supermarchés sont les principaux libraires, ça pose un vrai problème de diversité éditoriale. En France, la loi sur le prix unique du livre protège un peu la librairie indépendante, j’aimerais que ce principe soit importé en Grande-Bretagne.

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