Montpellier

Bibliothèques : "Blabla" se fait entendre

Bibliothèques : "Blabla" se fait entendre

Les bibliothécaires sont moins présents dans les médias que les libraires. Mais à Montpellier, un petit groupe d'irréductibles bavards a pris d'assaut les ondes locales et livre chaque semaine depuis 2007 ses coups de coeur aux auditeurs.

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Par Mylène Moulin
avec Créé le 31.12.2014 à 13h36

Elodie Paikert.- Photo MYLÈNE MOULIN

Un studio de radio dans un petit immeuble de la zone artisanale de Montpellier, coincé entre un loueur de voitures et un garage automobile. Dans les locaux de Radio Clapas, ce lundi, une partie de l'équipe de "Blabla" s'est réunie pour enregistrer les émissions de mars. Tous sont bibliothécaires, ont la trentaine et la langue bien pendue. Pendant une heure et demie, ils vont présenter leurs livres favoris et en débattre. A midi tout est dans la boîte : huit émissions de dix minutes chacune qui seront diffusées deux fois par jour, quatre jours par semaine, au cours du mois suivant.

10 minutes

"On a forcé le trait de nos personnalités, un peu comme au théâtre, comme ça, on est clairement reconnaissables et les auditeurs peuvent s'identifier à l'un d'entre nous." EMMANUEL QUENTIN- Photo MYLÈNE MOULIN

Le projet naît en 2007. Marie-Pierre Soriano, Marie Pasquier, Olivier Motard et Emmanuel Quentin, tous bibliothécaires à la médiathèque André-Malraux de Béziers (Mam), décident de créer "Blabla", une émission radiodiffusée où ils pourraient parler de ce qu'ils aiment en toute liberté. "Manu [Emmanuel] avait un blog et moi j'avais déjà fait de la radio, se souvient Marie-Pierre Soriano. On était collègues, on est devenus amis et, au lieu de passer des heures à parler de livres et de cinéma entre nous, on a décidé de continuer mais autour d'un micro !" Les quatre copains bibliothécaires se lancent un défi : "Donner envie de lire un bouquin ou d'aller au ciné à travers un module court de 10 minutes". Marie-Pierre la survoltée chroniquera de la littérature ; plus carrée, Marie s'occupera de la bande dessinée, Emmanuel du polar et de la science-fiction, et Olivier sera le monsieur Cinéma de la bande.

Sophie Desserre.- Photo MYLÈNE MOULIN

"Nous avons des personnalités et des goûts très différents, ce qui donne une vraie richesse à nos échanges en studio. On a forcé le trait de nos personnalités, un peu comme au théâtre, comme ça, on est clairement reconnaissables et les auditeurs peuvent s'identifier à l'un d'entre nous", détaille Emmanuel Quentin. Depuis, d'autres voix de bibliothécaires ont rejoint l'équipe de blablateurs : Elodie Paikert, la girly du groupe, conseille la littérature "de filles" et la jeunesse, et la calme Sophie Desserre la bande dessinée et le roman graphique.

« Une espèce de masque »

Les « blablateurs » dans le studio de Radio Clapas.- Photo MYLÈNE MOULIN

Cette émission est bien celle de bibliothécaires, pas d'une bibliothèque. "Les visiteurs des lieux où l'on travaille ne sont pas au courant de notre existence, nous n'avons pas du tout fait de promotion au sein des médiathèques", précise Marie Pasquier. "C'est comme une espèce de masque, nous ne sommes pas dans une démarche institutionnelle : nous sommes en dehors", renchérit Marie-Pierre Soriano. Une discrétion délibérément choisie par les membres de "Blabla" qui ne souhaitent pas que leur initiative soit "récupérée par l'institution".

Toutefois, même s'il est isolé, le projet s'inscrit dans un mouvement de mutation plus global qui touche le métier de bibliothécaire. Blogs en libre accès, présence sur les réseaux sociaux, etc. De plus en plus connectés, les professionnels n'hésitent pas à utiliser les médias et surtout le Web pour communiquer avec les lecteurs ou échanger sur leurs expériences.

Si "Blabla" est avant tout une histoire de copains qui avaient une envie commune de discuter livres, l'émission a vu le jour à un moment clé de leur vie professionnelle. Et questionne le rôle du bibliothécaire à une période où les machines remplacent progressivement les êtres humains. "Quand les médiathèques où nous travaillions ont choisi d'être à la pointe de la technologie en installant des platines de prêt équipées de puces RFID, nous avons eu une période de flottement, se rappelle Marie-Pierre Soriano. D'un coup, on s'est demandé : et notre boulot de conseil auprès des gens ? A quoi on sert maintenant ? Finalement, la crise est passée, on est tous retombés sur nos pattes et on arrive quand même à faire notre métier de bibliothécaire correctement. Mais c'est peut-être cette période de flottement qui explique en partie la naissance de l'émission."

Avec "Blabla", les bibliothécaires ont eu l'impression de renouer avec leur mission d'accompagnement du lecteur. "On nous demande d'être multitâches, de monter des animations, de parler de multimédia : peut-être a-t-on eu à un moment donné cette impression de moins jouer ce rôle prescripteur ?" "Blabla" leur permet aussi de s'affranchir des contraintes rencontrées au quotidien dans leur travail. Et de recommander uniquement des titres qu'ils aiment, loin du ton "plutôt consensuel" du bibliothécaire, "capable de donner un livre qu'il n'aime pas à un lecteur".

Sur les ondes, pas de censure, mais du débat, oui. Chacun doit avoir lu (dans la mesure du possible) les titres que les autres vont chroniquer, pour pouvoir exprimer son avis. Cela donne lieu à des joutes verbales parfois savoureuses, ou à des discussions qui se poursuivent au-delà de l'émission. "Dans ce contexte, on t'attend au tournant, reconnaît Sophie Desserre. On ne peut pas se contenter de dire : c'est super, c'est génial, allez-y, lisez-le. Il faut argumenter. Et puis c'est un avantage, car on est amené à lire des choses qui sortent de notre domaine de compétences : ça enrichit notre pratique quotidienne." Difficile en effet pour les animateurs de radio de se défaire de leur habit de bibliothécaire, malgré la distance qu'ils souhaitent mettre entre les deux univers. "On ne peut pas dire : quand je vais au boulot je suis bibliothécaire, et pas quand je vais enregistrer "Blabla". L'un nourrit l'autre", reconnaît Emmanuel Quentin, qui assure que les deux activités se complètent : "Cela m'arrive souvent d'inciter un auteur invité des "cafés-crimes" que j'organise à la médiathèque à intervenir dans notre émission et vice vers

Hors de l'espace de travail

"Blabla", c'est donc un monde à part, créé par des bibliothécaires, hors de l'espace de travail. Par des électrons libres désireux de contourner les lourdeurs administratives qui entourent leur métier et de "s'engager personnellement pour le livre sans engager la bibliothèque". Un joli pari réussi qui gagne du terrain : la radio qui les héberge a décidé récemment de déplacer l'émission à une heure de grande écoute, juste après les informations. Pour accompagner ce changement, l'équipe vient de lancer un site Web où toutes les émissions sont disponibles en podcast et qui propose désormais, en plus des hebdomadaires, des chroniques rédigées. De quoi étendre encore un peu plus le message original : ""Blabla", quatre voix, des livres, des films, et encore, on aurait pu vous parler d'autre chose..."

Où les écouter ? Rendez-vous les lundi, mardi, jeudi, vendredi à 8 h 13 et à 12 h 10 sur Radio Clapas, 93.5 FM à Montpellier. Podcasts : www.desblablas.fr.

31.12 2014

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