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Bibliothèques : prêts pour les loisirs

Espace presse, médiathèque d'Orléans. - Photo OLIVIER DION

Bibliothèques : prêts pour les loisirs

Comme les ventes en librairie, les prêts de livres en bibliothèque ont plutôt tendance à baisser en France, contrairement à ce qui se passe aux Etats-Unis où les bibliothèques sont davantage fréquentées par temps de crise. Mais les nouveaux aménagements et services mis en place pour rendre les établissements plus attractifs ces deux dernières années semblent inverser la tendance.

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Par Laurence Santantonios
avec Créé le 23.02.2015 à 17h06

Dur temps pour la librairie : les ventes sont à la baisse ces deux dernières années (- 0,5 % en 2010, autour de - 1 % probablement en 2011). Dans certains pays comme les Etats-Unis, ces temps de crise profitent aux bibliothèques où les lecteurs apprécient de lire à moindre coût. En France, où la moyenne d'inscrits est plus basse (16 % contre 40 ou 50 %) et le "réflexe bibliothèque" moins dans les moeurs, cette corrélation ventes-emprunts a toujours été très difficile à déterminer.

D'ailleurs, la tendance générale est plutôt à la baisse, des prêts comme du nombre des inscrits. Selon le Service du livre et de la lecture, les emprunts d'ouvrages ont baissé jusqu'en 2008 (nous ne disposons malheureusement pas à l'heure actuelle de statistiques après cette date) après des chiffres records en 2003 et 2004. Grosso modo, on prêtait 160 millions de livres il y a dix ans contre 143 millions en 2008. Le taux d'inscrits emprunteurs est lui aussi en baisse : 17,35 % en 2004 et 15,69 % en 2008. Pour prendre un exemple plus précis, dans les bibliothèques de Paris entre 2004 et 2008, les prêts ont chuté de 8 %. "Cela dit, la tendance s'inverse depuis 2008 du fait de la modernisation du réseau, des nouvelles modalités de prêt et des ouvertures d'établissements, note Jean-Claude Utard du bureau des bibliothèques de la capitale. En 2010, le nombre total de prêts est de 12,64 millions, soit une hausse de 13 % par rapport à 2009, déjà en hausse de 7 % par rapport à l'année précédente. »

Une tendance à la hausse qui pourrait bien se généraliser, de nombreuses municipalités tentant justement d'enrayer la désaffection des usagers par l'instauration de services plus attrayants : augmentation du nombre des documents à emprunter, simplification et baisse des tarifs, extension des horaires d'ouverture...

Trop tôt

A la bibliothèque Méjanes d'Aix-en-Provence où les chiffres sont en baisse constante depuis 2000, la directrice Corinne Prévost voit dans l'extension récente des heures d'ouverture (34 à 45 heures) une nette reprise, "même s'il est encore trop tôt pour faire un bilan", précise-t-elle. A Avignon, l'augmentation du nombre de documents à emprunter, une meilleure organisation et des efforts de communication auprès du public ont aussi porté leurs fruits : les emprunts de livres sont passés de 288 000 à 302 000 entre 2009 et 2011.

A Metz où à défaut de nouvelle médiathèque une intense politique de communication et de développement hors les murs a été mise en place depuis plusieurs années, les prêts d'imprimés sont passés de 758 000 en 2000 à 720 000 en 2010, alors que ceux de films ont explosé, passant de 70 000 à 237 000 sur la même période ! Pour le directeur des bibliothèques André Pierre Syren : "Il n'y a pas d'effet de crise flagrant, mais une tendance très visible à l'évolution de la pratique de loisirs au détriment de la documentation. A Metz, le prêt de films commence à dépasser celui des romans."

Matthieu Desachy, qui dirige les bibliothèques d'Albi, note lui aussi un tassement des prêts tout en remarquant que les animations (Siestes littéraires, Vendredi au cinéma, Atelier d'écriture numérique...) font le plein. "Je crois que l'avenir du métier laisse au second plan les bibliothèques comme lieux de prêt mais encourage la politique d'animation et d'accueil."

530 000 euros

Cela dit, tout le monde n'enregistre pas des résultats en baisse. Et que les éditeurs se rassurent, les budgets d'acquisition restent importants. A Montpellier, par exemple, les bibliothèques ont dépensé 530 000 euros en 2010 pour l'achat de 35 700 livres, et le directeur Gilles Gudin de Vallerin observe que les chiffres de prêts (1 million environ pour l'ensemble du réseau) sont étales après une forte augmentation en 2010 due, il est vrai, à des constructions et des rénovations d'établissement.

"Les discours catastrophiques sur les prêts semblent exagérés, commente de son côté Bertrand Calenge, directeur adjoint des bibliothèques de Lyon. Globalement, le réseau lyonnais a augmenté ses prêts de 32 % sur les 10 dernières années, dont 12 % pour les livres." Là aussi, la construction ou la rénovation de nouvelles bibliothèques de quartier n'est pas indifférente, mais Bertrand Calenge remarque par exemple que la bibliothèque du 2e arrondissement, qui a ouvert dans de nouveaux locaux en 2002, a vu passer ses prêts de 120 000 en 2003 à 170 000 en 2010. A La Part-Dieu, qui en réalise 1 million par an, il y a stagnation mais pas de baisse.

A Epinal, où la bibliothèque est ouverte depuis 2009 seulement, ils sont en très légère augmentation. "Nous manquons de recul pour tirer des conclusions, remarque la directrice Marianne Masson, mais je ne crois pas à la désaffection des achats de livres au profit des prêts en bibliothèque. Peut-être une utilisation plus assidue des espaces de travail, de la consultation simple et surtout des postes informatiques."

Il est en effet manifeste que la fonction sociale et ludique de la bibliothèque a tendance à prendre le dessus comme le constatent les responsables de Metz et d'Albi. Les ateliers numériques, avec possibilité de recherche d'emplois ou d'autres services d'autoformation, sont des espaces toujours bondés. "Est-ce dû à la crise ?, s'interroge Bertrand Calenge. Je n'en suis pas sûr dans la mesure où ces services font le plein depuis leur création il y a plusieurs années et à chaque nouvel espace numérique c'est pareil !"

"Si les prêts semblent repartir à la hausse, je ne fais pas de corrélation directe avec la crise, renchérit la directrice des bibliothèques de Cergy, Catherine Auzoux, mais plutôt avec les nouveaux services que nous avons mis en oeuvre depuis la fin 2010 : augmentation des horaires d'ouverture, des postes multimédias, campagne de communication, prêt gratuit, etc."

Moins d'inscrits

A Plaine-Commune (93) aussi, où l'on mène depuis plusieurs années une politique dynamique de modernisation du réseau, la directrice Dominique Deschamps note une réelle progression des prêts, y compris pour les livres qui représentent 66 % des emprunts. "Certes, cette progression est due aux nouveaux établissements, concède-t-elle, mais le mouvement se décèle aussi dans des médiathèques plus anciennes où un vrai travail a été effectué sur les collections (désherbage, mise en avant des nouveautés, etc.)."

C'est un phénomène, enfin, que l'on retrouve dans plusieurs municipalités : le nombre des inscrits est en baisse alors que les prêts sont en légère hausse. Ainsi à Brest, le directeur Nicolas Galaud constate que le volume de prêt est globalement stable depuis trois ans, voire en très légère augmentation cette année (9,2 documents empruntés par an et par habitant) alors qu'il y a une érosion régulière du nombre d'inscrits de l'ordre de 3 % par an depuis cinq ans. "Peut-on établir un lien avec l'évolution des ventes de livres ? Cela me paraît délicat, estime-t-elle. La cause de la baisse des ventes est-elle due à la baisse de pouvoir d'achat ou au désintérêt croissant pour le livre du fait de l'évolution des pratiques culturelles et informatives ?" Pour ce bibliothécaire avisé, ces deux explications se cumulent. Et de conclure : "Quoi qu'il en soit, il n'y a aucune raison de se réjouir de cette baisse des ventes car je suis persuadé que plus les gens achètent de livres, plus ils en empruntent, et vice versa."

23.02 2015

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