Avant-Critique Roman

Blandine Rinkel, "Vers la violence" (Fayard) : Danse avec les loups

Blandine Rinkel - Photo OLIVIER DION

Blandine Rinkel, "Vers la violence" (Fayard) : Danse avec les loups

Dans ce troisième roman de Blandine Rinkel, d'une infinie justesse, une fille regarde son père, son amour, sa solitude, ses mensonges, sa sauvagerie.

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Par Olivier Mony
Créé le 18.07.2022 à 16h00

Flic, ancien militaire, presque toujours une arme à portée de main, le bon mot autant que le gros au bord des lèvres tout comme la blague et le sarcasme, moustachu, capable de transformer toutes les occurrences du monde en bonnes histoires, incarnation immémoriale de ce que l'on voudrait faire passer pour la virilité, tel est Gérard. Un drôle de type, intrigant, fatigant, exagéré. Un père. Celui de Lou, sa petite fille qui quelque part en Vendée, dans les bourgs, le long des côtes ou les forêts, n'aime rien tant que de l'accompagner sur ces chemins qu'il ne semble emprunter que pour elle. C'est entendu entre eux, le monde est une promesse qui leur sera à eux seuls offerte. Le reste ? Une menace, un en-dehors de l'amour dont les prestiges et bientôt tout de même les usages vont peu à peu détourner l'enfant de la scène initiale, de la scène paternelle. Ces arrachements, sauvages, solitaires, sont le prix à payer d'une vie à vivre, d'une lucidité douloureuse.

Lou, en comptant le pas de côté de la fiction, c'est sans doute Blandine Rinkel, plus en majesté que jamais avec ce Vers la violence, son troisième roman. Le premier, L'abandon des prétentions (Fayard, 2017) était celui de la mère ; celui-là sera donc, dans un registre littéraire différent, moins tenu à distance et plus endeuillé, plus flamboyant, celui du père. C'est aussi moins la vérité de ce personnage inouï, à la fois larger than life et profondément installé dans l'inconfort de lui-même, qui est ici interrogée que celle du regard que lui porte sa fille. Cette fille qui souffre d'abord de ne se sentir qu'une « remplaçante » (lors d'un accident de navigation dont il est responsable, Gérard a perdu ses deux premiers enfants, nés d'un premier mariage), qui bientôt grandira, quittera la Vendée pour Londres, s'affranchira, dansera puisque tel sera son métier, et bien entendu, ne sera plus acquise aux blagues de son père. Il lui en reste tout de même l'écho d'une ancienne blessure, un vertige qui sera chez elle comme l'autre nom de la violence. Alors, Gérard malgré tout, Gérard malgré lui, roi désormais déchu d'un règne animal où, pour mieux l'évoquer, Blandine Rinkel le ramène à la liberté souveraine des chevaux au galop et surtout des loups chassés de la meute.

Il faudrait avant tout écrire de ce texte l'absolue justesse. Pas celle des sentiments qui est affaire de points de vue, celle de son écriture même, de la grâce avec laquelle la romancière sait en quelque sorte se placer à la juste distance de l'épée et du taureau... De plus, dans une époque où les assignations identitaires se substituent souvent aux réflexions préalables et le tumulte au silence, c'est avec une infinie douceur, même amère, que Blandine Rinkel apporte sa contribution au débat. La littérature rappelle-t-elle, sert à ça. La danse, aussi. La danse avec les loups.

Léonora Miano
Stardust
Grasset
Tirage: 10 000 ex.
Prix: 18,50 € ; 220 p.
ISBN: 9782246831839

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