Avant-critique Roman

Une mourante consentante. Jour J-2. Une voiture se dirige vers le territoire helvétique. À son bord, un couple et sa progéniture, composée de quatre adultes. L'ambiance est bon enfant, cette excursion est pour eux symbole d'union. « Il y a comme une continuité naturelle, à se retrouver ensemble dans ce véhicule et à se rendre dans une ville inconnue. Un petit goût d'aventure. » Mais sous les allures joviales de ce voyage se cache un moment solennel. « Je ne réalisais pas vraiment ce qu'on allait faire là-bas. On vivait minute par minute, et c'est ça la vie finalement, c'est minute par minute », soutient l'une des filles. Dans 48 heures, un événement va les chambouler à jamais, puisque c'est cette date qu'Edith − la mère de famille − a choisie pour mourir. Elle se sait malade et ne tient pas à aller jusqu'à l'agonie. La Suisse permet justement l'euthanasie. « Normalement, les gens ne parlent pas de la mort, ni en famille, ni même avec les médecins. » Mais là, ça fait des mois que le sujet est au cœur de leurs discussions. Impossible d'y échapper, tant Edith a décidé d'y associer les siens. Le défi est d'autant plus important, qu'à l'exception de la benjamine, tous sont médecins. Assister à la mort de leurs patients est une chose, mais qu'en est-il lorsque c'est leur propre femme ou mère qui choisit volontairement cette option ? « Lorsqu'on est médecin, on n'est pas préparé à la mort des gens. Notre mission, c'est de les tenir en vie, coûte que coûte, en dépit de leur liberté. » Edith les pousse à remettre ce tabou en question. « Philosopher, c'est apprendre à mourir. Et si soigner, c'était aussi apprendre à mourir ? » Chacun réagit à sa façon. « On croit toujours que nos mères sont éternelles », or « perdre sa mère, c'est devenir définitivement adulte, c'est se dire, je ne peux plus aller chouiner dans les jupes de Maman, je n'ai plus qu'à m'assumer ». Force est de constater qu'on n'est jamais vraiment prêt à perdre un parent. Ce roman choral savoureux révèle les existences et les voix nuancées de tous les protagonistes. La force de Carole Fives est de créer une ambiance théâtrale, sans pathos. Tendrement piquant, son ton faussement léger aborde un sujet d'actualité essentiel. « C'était pas un suicide assisté, non. Ce n'était pas une pulsion de mort, bien au contraire. C'était une leçon de liberté », et de dignité.

Carole Fives
Le jour et l'heure
Lattès
Tirage: 10 000 ex.
Prix: 17 € ; 144 p.
ISBN: 9782709672672

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