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Christian Thorel se livre

Toujours présent pour défendre le livre et la librairie, Christian Thorel, ici avec Françoise Nyssen (Actes Sud), faisait partie de la délégation reçue le 13 janvier 2012 à l’Elysée par Nicolas Sarkozy et Frédéric Mitterrand afin de faire part de leur inquiétude devant le passage de la TVA du livre à 7%. - Photo Olivier Dion

Christian Thorel se livre

Figure emblématique de la librairie française, le patron d’Ombres blanches, à Toulouse, publie au Seuil un ouvrage relatant son parcours et celui de son établissement.

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Par Clarisse Normand
avec Créé le 15.04.2015 à 20h04

Dans les ombres blanches de Christian Thorel vient de paraître ce 2 avril au Seuil, dans la toute jeune collection poche de "Fiction & Cie" qui accueille "des textes de conviction, des gestes d’insoumission à l’air du temps". Né d’une discussion informelle entre le directeur de la collection, Bernard Comment, et le patron de la librairie Ombres blanches à Toulouse, lors d’un dîner organisé durant le Marathon des mots, "ce livre est un acte de combat", lance l’éditeur. "Il était intéressant, dans le contexte difficile que traverse la librairie aujourd’hui, d’envoyer un signe positif en donnant la parole à une figure emblématique de la profession capable de faire passer sa passion, mais aussi sa combativité. Christian Thorel vaut comme métonymie." En se racontant, l’auteur rappelle d’ailleurs de nombreux combats visant à défendre le livre et la librairie indépendante. De manière chronologique, il retrace près de quarante ans de grande et de petite histoire.

Emballements littéraires et politiques

Pourtant, rien ne prédestinait Christian Thorel, né le 5 mars 1953, à devenir libraire ni même à s’intéresser aux livres. Comme il l’écrit, "sur l’usage de la lecture, la famille est partagée". Il habite à Castres, avec ses parents dont "le métier est de sillonner le département avec des cars". Lui-même, après un grave accident de la route à l’adolescence, entame des études d’ingénieur avant de "craquer devant le rythme des contrôles continus". Mais "la fin des certitudes mathématiques" coïncide avec le "début des emballements littéraires et politiques". Il "se réconcilie avec la langue" et découvre les livres et les librairies. "J’ai 24 ans… l’exercice de la librairie se mue en certitude.""Avec Martine", qui deviendra sa femme et qui l’accompagne toujours dans la vie et à la direction de la librairie, il noue des contacts, fait des stages. L’année 1977 sera décisive. Il rencontre Jean-Paul Archie qui vient de créer, rue Gambetta à Toulouse, une petite librairie qui "ouvre sur un monde de littérature et d’idées".

A l’époque, "Ombres blanches n’offre ni travail, ni même opportunités d’apprentissage", mais Jean-Paul Archie dirige Christian Thorel vers Henri Causse, déjà directeur commercial de Minuit. Les bases sont posées, les liens noués. Aujourd’hui encore, "avec Henri Causse, nous avons l’habitude de nous appeler une ou deux fois par semaine", écrit le libraire. En fait, pour lui, tout prend forme en 1978 quand Jean-Paul Archie, désireux de "prendre de la distance", le recontacte et "envisage une manière d’association". Celle-ci mettra du temps à se mettre en place. "Nous achoppons sur la méthode de transmission, écrit Christian Thorel. Et si je mets mes économies dans la librairie, c’est sans contrepartie. Les choses ne se concrétiseront que fin 1981." Clairement, c’est un autre temps, moins formel. Mais Ombres blanches saura s’adapter à son époque et se développera au gré des opportunités.

Rencontres professionnelles

Au fil des pages, on suit ces différentes étapes, entremêlées d’histoire personnelle, dont la naissance au sein de la famille Thorel de deux enfants, Roman et Clémence, mais aussi de rencontres professionnelles qui sont l’occasion de nombreux hommages. On croise Jérôme Lindon qui, dès la fin des années 1970, se bat pour imposer le prix unique du livre, Hubert Nyssen qui vient de créer Actes Sud, Laurent Mauvignier qui sort en 1999 son premier roman chez Minuit, l’équipe des éditions Verdier et la création du Banquet du livre de Lagrasse, Christian Bourgois, "héritier de la grande Europe intellectuelle"… A côté de l’ascension de la librairie, au prix d’ambitieux chantiers successifs, il y a aussi les moments de déprime comme, en 1994, la dissolution de l’association L’Œil de la lettre, créée dix ans plus tôt dans l’enthousiasme pour soutenir la loi sur le prix unique du livre. Un "échec" et une blessure qu’apaise, seule, la présence des livres : "Dans la lumière d’un jour qui s’éteint, écrit-il après avoir raconté comment il se réfugie dans la librairie fermée, je n’en recherche aucun en particulier, je les respire."

Derrière le chemin parcouru par Ombres blanches, qui compte aujourd’hui parmi les dix premières librairies françaises, avec une surface de 1 500 m2 et un chiffre d’affaires de près de 10 millions d’euros, on assiste à la naissance d’une vocation et au cheminement intérieur d’un homme de conviction et d’engagement pour qui la librairie est "un acteur culturel et politique de la ville, autant qu’une entreprise commerciale". Une profession de foi envers "cet espace fusionnel, dans le cœur de la ville […] où se croisent lecteur, libraires, auteurs, visiteurs, travailleurs et inactifs", résolument tournée vers le futur.

Christian Thorel, Dans les ombres blanches, Seuil, "Fiction & Cie". ISBN : 978-2-02-122114-5, prix : 9,50 euros.

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