4 février > Roman Royaume-Uni

Pour cacher à votre conjoint que vous avez repris la cigarette, vous pouvez mâcher du chewing-gum après que vous vous en êtes grillé une. Que dire à votre femme lorsque vous vous réveillez dans une chambre d’hôtel, sans véritable souvenir de la veille, avec à vos côtés une femme nue ? Certes la jolie blonde (fausse, constatez-vous), vous la connaissez puisqu’elle est votre meilleure amie. Mais elle ne pourrait guère vous renseigner sur le pourquoi et le comment de la situation car ayant franchi elle-même un cap supérieur d’inconscience elle gît inerte avec une trace de sang sur l’oreiller. Le héros du nouveau livre d’Adam Thirlwell, Candide et lubrique, est dans le pétrin. Pour ce troisième roman, cet auteur anglais des plus prometteurs de sa génération (il figurait parmi les vingt jeunes romanciers britanniques cités par la revue Granta en 2003) revient à ses obsessions premières : le sexe, ou plutôt le potentiel littéraire du sexe. Sa première fiction, Politique (L’Olivier, 2004), se lisait comme un manuel de savoir-vivre érotique. L’évasion (2010) narrait les aventures d’un homme en cure thermale possédé par le démon de midi, ou plutôt de minuit, le poids des ans n’ayant en rien émoussé la libido du septuagénaire. Ici, avant le récit des scènes d’orgie et débauche de stupéfiants, le narrateur doit d’abord se dépatouiller avec l’inconsciente grande gigue blonde (ouf, elle respire encore) et sortir discrètement de l’hôtel.

Le comique de situation se double d’un comique d’élucubration. C’est que notre antihéros est un ancien wunderkind promis au plus brillant plan de carrière malheureusement déjoué par son catastrophisme naturel. Il est très très intelligent et complètement inadapté. C’est une espèce de Tanguy dépressif vivant avec son épouse Candy et son chien non moins névrosé chez ses parents, des petits-bourgeois juifs surprotecteurs (la mère intervient dans des dialogues, commentant les actions du fils, tel un surmoi omniprésent). "Hyper actif et flemmard, les deux à la fois - un hyperflemmactif", il n’arrive à rien. "Psychosomatique", se plaint-il à sa femme, "psychosémitique", corrige-t-elle. La vie serait légère si le cerveau n’était pas si lourd - c’est Woody Allen meets Kundera.

Ne pas s’attendre au rythme du page-turner. On est invité dans Candide et lubrique à se perdre aussi dans la pensée sinueuse du protagoniste et l’on ne cesse pas pour autant de tourner les pages mais pas pour les mêmes raisons. Comme toujours chez Thirlwell, il y a l’ironie désopilante. Une excellente raison.

Sean J. Rose

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