Rythmes scolaires

Des Tap, tip-top ?

Olivier Dion

Des Tap, tip-top ?

Depuis la réforme des rythmes scolaires, c’est l’effervescence dans les bibliothèques. Les temps d’activités périscolaires (Tap) prennent forme et les élus mobilisent les professionnels qui s’interrogent sur l’opportunité que représente cette réforme pour leurs établissements. Claude Poissenot insiste sur la nécessité de les accompagner dans ce nouveau métier.

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Par Claude Poissenot
Créé le 23.05.2014 à 02h34 ,
Mis à jour le 23.05.2014 à 10h02

A la différence de l’accueil de classes, qui est mis en place si la municipalité le décide, la réforme des rythmes scolaires s’impose à toutes les communes. 80 % d’entre elles ont reporté sa mise en œuvre à la rentrée 2014, signe d’un réel malaise. Tous les ans, 3,5 millions d’élèves se rendent en bibliothèque dans le cadre de l’accueil de classes. Cela représente environ mille classes par jour accueillies dans les bibliothèques. L’Ecole et les élèves sont donc largement présents dans les murs de la bibliothèque, mais la réforme des rythmes scolaires vient troubler la situation.

Rappelons que le principe de cette réforme consiste à revenir à 9 demi-journées de classe dans la semaine de façon à alléger de 45 minutes le temps de cours quotidien des enfants et ainsi à améliorer leurs apprentissages en respectant leurs rythmes biologiques. Au lieu que les enfants se retrouvent à la charge des familles plus tôt, le choix a été fait d’instaurer des activités périscolaires. Les communes ont ainsi à élaborer une offre d’activités périscolaires et c’est dans cet objectif qu’elles se sont tournées vers leurs bibliothèques.

 

A la discrétion des parents.

Prendre en charge les enfants dans ce temps libéré qui n’est plus celui de l’Ecole et pas encore celui des familles, tel est le défi à relever. Mais qu’est-ce donc que ce temps ? Cette question, pourtant passionnante, n’a fait l’objet que de peu de discours dans les médias. Ces activités, au contraire de l’Ecole, sont laissées à la discrétion des parents qui peuvent ne pas y inscrire leurs enfants. Mais les activités déjà mises en place dans certaines communes montrent que les familles consentent aux activités périscolaires si elles sont gratuites plus qu’elles n’y adhèrent fortement.

Les bibliothèques, comme les autres services, doivent donc proposer des activités qui, en plus d’être gratuites, sauront intéresser les parents, mais aussi les enfants. L’enjeu n’est pas celui de l’instruction des élèves, puisqu’ils ne sont pas dans le temps scolaire. Dès lors, il est possible de proposer de divertir les enfants. Par exemple, on peut proposer de visionner un film d’animation dans les locaux de la médiathèque sans prévoir son exploitation pédagogique… Les Tap sont aussi l’occasion d’ouvrir les enfants sur d’autres horizons que ceux de l’Ecole ou des familles. Bien sûr, une partie des enfants de maternelle et de début de primaire pourraient trouver dans les formidables collections d’albums des bibliothèques jeunesse une source de découverte. Mais on pourrait parler des plus grands et de découverte de la musique ou du cinéma… Ce temps intermédiaire crée aussi une belle opportunité de faire de la bibliothèque un lieu de socialisation des pratiques. Les enfants de 10-11 ans commencent à découvrir l’univers des vidéos sur YouTube. Pourquoi ne pas se saisir des Tap pour qu’ils puissent échanger entre eux sur cet univers qui les passionne et qui constitue une pratique culturelle émergente ? Plus largement, la prise en compte des enfants non pas tels qu’on voudrait qu’ils soient mais tels qu’ils sont, avec leurs comportements et leurs aspirations, est sans doute un enjeu caché de la réforme. Nombreux sont les adultes qui se penchent sur leur sort à travers les Tap sans les prendre en compte réellement. Florence Lacroix-Spinnewyn a réalisé un mémoire riche sur la réforme (accessible sur Enssib.fr) qui décrit cette abondance d’adultes et la manière dont ils s’organisent pour mettre en place les Tap. Mais son travail révèle en creux la faible prise en compte du point de vue des enfants sur ce qui leur est proposé…

 

 

Une relation personnelle.

Dominique Lahary (ABF Ile-de-France) jugeait, lors d’une récente journée d’étude organisée par l’ABF Lorraine et Médial à Nancy sur la réforme des rythmes scolaires, que "c’est une opportunité à saisir pour consolider la place de la bibliothèque dans sa collectivité". Elle montre qu’elle participe à la vie des habitants et des services que la municipalité leur rend.

 

Au-delà, la bibliothèque a l’occasion de se distinguer de l’institution scolaire. Il s’agit de sortir de ce cadre pour s’affirmer dans son identité propre : lieu de découverte, de partage, de divertissement, de vie de la cité. Faisant cela, la bibliothèque peut créer les conditions de son appropriation par les enfants à titre personnel et non pas seulement en tant qu’élève. C’est un enjeu non négligeable, car on sait que la fréquentation de la bibliothèque diminue à partir de l’entrée des élèves au collège. Les visites de classe ne suffisent pas à faire de ce lieu une évidence, le cadre d’une partie de soi-même. Peut-être, au contraire, l’établissement d’une relation personnelle, dans laquelle la dimension scolaire ne serait que secondaire, pourrait favoriser la pérennité de l’adhésion à la bibliothèque. Dans ce cadre, les bibliothécaires préfèrent, à juste titre, que les enfants viennent dans l’espace de la bibliothèque plutôt que d’aller à leur rencontre dans d’autres locaux ou dans l’enceinte de l’école. Il s’agit de donner à voir l’attrait du lieu dans la diversité de ce qu’il propose.

Mais cette redéfinition de la bibliothèque ne se fait pas sans hésitation chez les professionnels. Dans nombre d’établissements, les Tap se surajoutent à l’accueil de classes, troublant ainsi l’image de la bibliothèque (comment peut-elle se dégager de sa connotation scolaire en continuant l’accueil de classes ?). Certains professionnels ont peur de renoncer à cette possibilité de présenter la bibliothèque à tous les enfants (même si tous les enseignants ne les y conduisent pas). Ils ont du mal à s’affranchir de la référence à l’institution scolaire par rapport à laquelle ils veulent bien faire un pas de côté mais pas lui tourner le dos… C’est à ce propos que des travaux sur l’efficacité (ou l’effet contre-productif) des visites scolaires sur le rapport personnel à la bibliothèque auraient été les bienvenus pour aider à la décision… Ils pourraient compléter les impressions qui semblent se dégager des bibliothécaires ayant mis en place les Tap : une relation plus proche et plus riche peut se nouer avec les enfants. Marion Crouzier (médiathèques de la communauté de communes Moselle et Madon) raconte ainsi que, pendant ce temps libre à la médiathèque, si les enfants familiers de la lecture apprécient de papillonner dans l’offre d’albums, il est possible d’aller à la rencontre de ceux qui sont moins à l’aise pour établir une relation personnalisée avec eux.

 

Une source d’angoisse.

Les difficultés de la réforme se situent aussi au niveau des compétences. Nombreux sont les professionnels à estimer ne pas savoir "gérer les groupes d’enfants". C’est une source d’angoisse comme peut l’être le fait de devoir conduire les enfants de l’école à la bibliothèque et retour. Les bibliothécaires ont besoin d’être accompagnés et rassurés pour qu’ils puissent entrer sereinement dans la réforme. L’ABF est sur le point de faire paraître un vade-mecum bienvenu sur le sujet, et le forum Agorabib est un lieu d’échanges nourris à ce propos.

 

Enfin, la réforme est redoutée pour les conséquences qu’elle peut entraîner sur le fonctionnement global de la bibliothèque. Plusieurs établissements ont dû renoncer à des heures d’ouverture au public pour pouvoir satisfaire aux obligations des Tap. Ces conséquences sont d’autant plus fâcheuses que le discours professionnel et ministériel va désormais dans le sens d’une ouverture élargie…

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