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Dossier Feel-good books : la déferlante

Olivier Dion

Dossier Feel-good books : la déferlante

La fiction qui fait du bien s’installe en librairie, séduit un lectorat toujours plus large et attire de plus en plus d’éditeurs. Cet engouement touche même les éditeurs étrangers qui considèrent les Français comme des spécialistes du genre.

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Par Marion Guyonvarch,
Créé le 17.03.2017 à 00h32 ,
Mis à jour le 17.03.2017 à 07h29

Le succès est phénoménal. Un an et demi après sa sortie, Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n’en as qu’une de Raphaëlle Giordano (Eyrolles), 444 000 exemplaires vendus, était toujours dans le trio de tête des ventes en mars ! Dans les classements des meilleures ventes, il côtoie Mémé dans les orties d’Aurélie Valognes (Le Livre de poche), publié en mars 2016, qui dépasse les 292 000 exemplaires, ou la version poche de Quelqu’un pour qui trembler de Gilles Legardinier (Pocket), qui s’est déjà vendu à plus de 90 000 exemplaires depuis sa parution début janvier. Le point commun de ces best-sellers ? Tous sont estampillés "feel-good books". Comprendre : des livres qui font du bien.

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Florian Lafani - Photo OLIVIER DION

Apparu sur le marché français, au début des années 2010, avec la parution - et le succès - de livres comme Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire de Jonas Jonason, l’expression "feel-good book" reste un concept aussi flou qu’élastique, encore difficile à définir avec précision. Loin d’être un genre littéraire à proprement parler, il semble surtout être une appellation fourre-tout : il englobe des titres aussi différents que les romans initiatiques empreints de spiritualité de Laurent Gounelle, le léger Le premier jour du reste de ma vie de Virginie Grimaldi, ou le plus sombre Les gens heureux lisent et boivent du café d’Agnès Martin-Lugand.

"On n’applique pas des recettes toutes faites, les lecteurs ne sont pas dupes. Nous fonctionnons aux coups de cœur." Alexandrine Duhin, Mazarine- Photo OLIVIER DION

Concept commercial

Les éditeurs eux-mêmes en esquissent une définition large et mouvante. "C’est de la littérature grand public, avec des personnages auxquels le lecteur peut s’identifier. Parfois le fond est humoristique, souvent ces héros assez banals traversent des épreuves dont ils tirent des leçons pour avancer dans la vie", propose ainsi Florian Lafani, responsable éditorial chez Michel Lafon, qui publie Agnès Martin-Lugand. Alexandrine Duhin, directrice littéraire de Mazarine, considère, elle, qu’il s’agit "de livres qui, derrière une apparente légèreté, disent des choses plus profondes qu’il n’y paraît", tandis que Béatrice Duval, directrice générale de Denoël, les décrit "comme des livres optimistes, véhiculant des valeurs positives". Quant à Véronique Cardi, directrice générale du Livre de poche, elle estime qu’un feel-good est "un roman qui redonne le sourire tout en confrontant le lecteur à des épreuves de la vie. Ce sont ces épreuves qui différencient le feel-good des romans légers, comme la chick-lit."

"On est un nouvel entrant sur le marché, mais vu le succès de ce premier essai, nous nous sommes dit : "Allons-y !" Nous avons créé une nouvelle collection transversale pour ce genre de projets." Marie Pic-Pâris Allavena, Eyrolles- Photo OLIVIER DION

Bref, la définition est large, voire très large… ce qui permet aux professionnels du livre d’y mettre un peu ce qu’ils veulent. "Le feel-good n’a rien inventé, affirme Florence Lottin, directrice de Pygmalion (Flammarion), on range simplement sous cette étiquette des livres qui existaient déjà.""C’est avant tout un terme marketing qu’on utilise entre nous, reconnaît Véronique Cardi. Il a l’avantage de recouvrir un champ suffisamment vaste pour qu’on puisse promouvoir un très grand nombre de livres sous cette étiquette." Le feel-good semble donc être avant tout un concept commercial, qui a d’ailleurs des codes bien établis tels les fameux titres à rallonge et les couvertures souvent décalées. "On a tendance à classer comme feel-good tout ce qui est commercial et n’est pas synonyme de dépression totale", résume Valentine Spinelli, cofondatrice de V & P Scouting. Lors de la sortie d’Aphrodite et vieilles dentelles de la Suédoise Karin Brunk Holmqvist, l’an dernier aux éditions Mirobole, "ce sont les libraires et les journalistes qui ont rangé le livre dans la catégorie des feel-good", raconte Sophie de Lamarlière, responsable de la maison. Pour la sortie du nouveau roman de l’auteure, Colza mécanique, le 20 avril, elle a choisi de communiquer sur cet aspect du livre.

Car le feel-good, ça marche ! Dans un climat ambiant morose, miné par la crise et les menaces d’attentats, cette offre éditoriale se présente comme un remède à la déprime ambiante, un peu dans la même ligne que la bibliothérapie. Ces promesses de bonheur et cette bouffée d’optimisme séduisent les lecteurs. "Il y a un véritable engouement, confirme Valérie Alletto, responsable du rayon littérature de Littera, à Mulhouse. Les lecteurs sont de plus en plus nombreux à rechercher des livres positifs, optimistes, qui leur offrent une bulle d’air et les font réfléchir sur eux-mêmes. Ils séduisent un large lectorat, y compris des gens qui ne lisent pas d’habitude." Comme un nombre croissant de librairies, l’enseigne mulhousienne a créé un corner dédié aux feel-good l’an dernier pour répondre à la demande. Les libraires jouent d’ailleurs un rôle clé dans le succès de ces livres positifs, qui sont souvent ignorés par la critique, en jouant un fort rôle de prescripteur. Le bouche-à-oreille fait ensuite le reste. "On sait que les lecteurs les recommandent ou les offrent après les avoir lus", explique Valérie Miguel-Kraak, directrice éditoriale de Fleuve éditions, l’une des premières maisons à s’être lancées sur le créneau en publiant Gilles Legardinier (passé depuis chez Flammarion). La preuve ? Mémé dans les orties d’Aurélie Valognes a vu ses ventes exploser au moment des fêtes, avec plus de 60 000 exemplaires écoulés.

Ruée sur le créneau

Le feel-good a ainsi peu à peu colonisé la production. Même si pour une success story à la Giordano, il y a des dizaines de livres qui passent inaperçus, les maisons d’édition s’engouffrent dans le créneau. "Tout le monde ou presque s’y met", s’amuse Béatrice Duval qui a publié le 9 mars La fille qui lisait dans le métro de Christine Féret-Fleury, annoncé comme LE prochain phénomène du genre. Même constat pour Véronique Cardi, du Livre de poche, qui juge que "la tendance est de plus en plus forte".

Après le succès d’Agnès Martin-Lugand, Michel Lafon a développé son rayon littérature et poursuivi dans la ligne du feel-good, en révélant notamment Aurélie Valognes, qui vient de signer chez Mazarine pour son troisième roman, Minute, papillon !. Mazarine justement, marque de Fayard relancée l’an passé, programme "plusieurs romans, bienveillants, touchants ou drôles qui peuvent être rangés dans cette catégorie, comme Où tu iras j’irai de Marie Vareille ou le nouveau titre d’Aurélie Valognes", précise Alexandrine Duhin. Elle insiste : "Derrière le label marketing de feel-good, qu’on ne revendique d’ailleurs pas, il s’agit avant tout de littérature, populaire et exigeante, et de vrais auteurs, sincères avec une véritable plume. On n’applique pas des recettes toutes faites, les lecteurs ne sont pas dupes. Nous fonctionnons aux coups de cœur." Flammarion, qui a fait signer l’an passé un poids lourd du genre, Gilles Legardinier, publie en mars Le chercheur : ne renonce jamais à celui que tu es vraiment du Danois Lars Muhl, un livre initiatique sur la recherche du bonheur.

Convaincu que le créneau est porteur, J’ai lu mène une grande opération commerciale "Feel good" : de mars à octobre, six romans vont être commercialisés sous cette étiquette. "Page tournée, souffle court, sourire aux lèvres ; avec ces livres, un véritable cri du cœur vous échappera : "I FEEL GOOD !"", promet la maison d’édition, qui n’a pas hésité longtemps avant d’opter pour cette stratégie commerciale. "Nous avions déjà senti l’engouement du public pour ce genre de lecture depuis plusieurs années. Le succès de La bibliothèque des cœurs cabossés de Katarina Bivald, l’an passé, avec plus de 100 000 exemplaires, nous a confortés dans ce choix", expliquent Stéphanie Vincendeau, directrice éditoriale, et Florence Salvador, responsable marketing.

De nouveaux venus se lancent aussi dans la bataille. L’an dernier, Eyrolles s’est essayé pour la première fois à la fiction avec Raphaëlle Giordano, qui publiait jusque-là des ouvrages de développement personnel. Le coup d’essai est un coup de maître, et la maison entend bien poursuivre dans cette voie. "On est un nouvel entrant sur le marché, explique Marie Pic-Pâris Allavena, directrice générale, mais vu le succès de ce premier essai, nous nous sommes dit : "Allons-y !" Nous avons créé une nouvelle collection transversale pour ce genre de projets." La maison a ainsi publié à l’automne Sept graines de lumière dans le cœur des guerriers de Pierre Pellissier, un conte pour résoudre les conflits, et vient de lancer La libraire de la place aux Herbes d’Eric de Kermel, un roman sur la bibliothérapie.

Risque de saturation

D’autres ont décidé de s’investir totalement dans cette tendance. Depuis trois ans, Leduc.s, maison d’édition spécialisée dans le mieux-vivre, s’est elle aussi lancée dans la fiction "qui redonne le sourire" selon les termes de sa directrice Karine Bailly de Robien : son label Charleston publie une quinzaine de nouveautés par an et revendique une ligne éditoriale "100 % feel-good". Elle a même lancé le prix du Livre romantique, pour trouver de nouveaux auteurs. Clarisse Sabard, la première lauréate, publie son deuxième roman, La plage de la mariée, ce 17 mars.

Le feel-good book colonise donc les programmes éditoriaux. Au risque de saturer la niche ? "Il y a un risque, oui, reconnaît Béatrice Duval. Le phénomène va sans doute durer encore quelques années, mais, comme les vagues précédentes du mummy porn ou de la fantasy, il va s’essouffler." Pour l’instant, le concept semble surtout amorcer une évolution. L’heure est au mélange des genres. A l’image du fameux succès de Raphaëlle Giordano, à la croisée entre la fiction et le livre de coaching, un nombre croissant de feel-good books brouillent les frontières, mêlant éléments de fiction, autobiographie, développement personnel. Chez Fleuve éditions, Valérie Miguel-Kraak publie par exemple Furiously happy de Jenny Lawson, chroniques de la vie d’une jeune femme dépressive qui décide de dire oui à toutes les opportunités. "C’est de l’autofiction teintée de conseils de développement personnel", explique la directrice éditoriale. Idem pour L’esprit papillon d’Agnès Ledig et Jack Koch, paru à l’automne, qui mêle récits, conseils et exercices pour se sentir mieux. "Je pense qu’on va aller de plus en plus vers un décloisonnement des genres", poursuit-elle. Florence Lottin, directrice éditoriale de Pygmalion, partage ce constat. "On voit se développer des livres qui mèlent développement personnel et fiction, comme avec la papesse du rangement Marie Kondo. C’est très délicat pour que l’association fonctionne, mais c’est une bonne manière de sortir des sentiers battus et c’est peut-être le début d’une nouvelle vague et le moyen de prolonger la tendance."

Le feel-good à la française fait recette à l’étranger

 

Les éditeurs étrangers se montrent particulièrement attentifs aux parutions de romans français qui font du bien et en acquièrent les droits, avant même leur sortie.

 

"Les éditeurs ne recherchent pas spécifiquement des feel-good books, ce qu’ils attendent d’un roman français, c’est une jolie histoire, charmante, mélancolique, avec une trame sociale en fond." Valentine Spinelli, V & P Scouting- Photo OLIVIER DION

Avant même sa sortie, les éditeurs étrangers se sont battus pour l’acheter : mi-février, La fille qui lisait dans le métro de Christine Féret-Fleury, paru le 9 mars chez Denoël, était déjà vendu en Italie, Espagne, Tchéquie, Slovaquie, et des enchères étaient en cours pour qu’il soit édité en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. En Allemagne, les offres dépassaient les 100 000 euros. L’histoire de cette jeune fille solitaire, qui chaque matin prend la ligne 6 du métro parisien et dont la vie va être bouleversée le jour où elle descend deux stations avant son arrêt habituel, séduit le monde entier. Rien d’étonnant, à en croire la directrice générale de Denoël, Béatrice Duval : "Les Français sont aujourd’hui un peu considérés comme les spécialistes du genre à l’étranger. Dans les grandes foires comme Francfort ou Londres, on voit bien que le feel-good à la française est très attendu."

"Les Allemands, par exemple, sont clairement à la recherche du charme français, sombre, mélancolique mais aussi empreint de joie de vivre." Eva Bredin-Wachter, Lattès- Photo OLIVIER DION

Valentine Spinelli, fondatrice de l’agence V & P Scouting, qui travaille pour de gros éditeurs européens, confirme l’intérêt des étrangers pour ce genre de romans, "commerciaux et de qualité", tout en nuançant un peu. "Il y a des effets d’emballement sur quelques titres, que l’on s’arrache partout avant même leur sortie. Les éditeurs ne recherchent pas spécifiquement des feel-good books, ce qu’ils attendent d’un roman français, c’est une jolie histoire, charmante, mélancolique, avec une trame sociale en fond. Une fiction avec un décor typiquement français, un personnage qui s’ennuie et qui, brusquement, voit sa vie bouleversée par un événement. Un peu comme Amélie Poulain en fait." Eva Bredin-Wachter, responsable des cessions de droits chez Lattès, partage ce constat. "Les Allemands, par exemple, sont clairement à la recherche du charme français, sombre, mélancolique mais aussi empreint de joie de vivre", dit-elle.

 

Lourds investissements

Ce phénomène est apparu il y a une dizaine d’années, avec L’élégance du hérisson, de Muriel Barbery (Gallimard), succès fulgurant partout dans le monde, puis La liste de mes envies de Grégoire Delacourt (Lattès), paru en 2012. Avant même sa parution, le deuxième roman de l’auteur français était vendu dans douze pays. "J’ai présenté le roman de Grégoire Delacourt à Francfort quatre mois avant sa parution en France, se souvient Eva Bredin-Wachter. Le lendemain, j’avais quatre offres dans ma boîte mail ! Je n’avais jamais connu ça." Finalement, le roman s’est vendu dans 32 pays, il a même été traduit aux Etats-Unis, marché peu ouvert aux romans français, chez Penguin, et dépassé les 100 000 exemplaires en Allemagne et en Italie.

Quelque temps après, L’extraordinaire voyage du fakir qui était coincé dans une armoire Ikea de Romain Puértolas (Le Dilettante) - 550 000 exemplaires en France, plus de 100 000 en Allemagne, 45 000 en Suède et 10 000 en Turquie - ou Le liseur du 6h27 de Jean-Paul Didierlaurent (Au Diable vauvert) - vendu à 50 000 exemplaires en Allemagne et 60 000 au Royaume-Uni - ont connu des succès similaires. Les gros vendeurs français du genre, comme Gilles Legardinier, traduit dans 19 pays, ou Agnès Martin-Lugand, dont les livres, traduits dans 32 pays, se sont écoulés à 300 000 exemplaires à l’international, sont convoités par les éditeurs étrangers, évidemment. Mais ils ne sont pas les seuls.

Quand un roman de ce genre leur semble avoir le potentiel pour être un succès commercial, les éditeurs se précipitent pour l’acquérir, par peur de rater le futur phénomène éditorial. Marie-Pacifique Zeltner, responsable des droits au Diable vauvert, a "l’impression que les éditeurs étrangers cherchent à découvrir la pépite commerciale avant les autres depuis le succès du Fakir". Préempter les droits très en amont "était une façon de sortir du champ des enchères et de la concurrence aux best-sellers. Mais l’engouement est tel que, finalement, ces romans partent également aux enchères", poursuit-elle. Leurs droits peuvent atteindre des montants très élevés.

Chez Jean-Claude Lattès, les droits pour Barracuda for ever de Pascal Ruter, paru le 18 janvier dernier, se sont envolés dès sa présentation à Francfort en octobre et ont été cédés pour une somme à six chiffres pour le marché allemand. Même s’il ne s’est vendu qu’à 1 500 exemplaires en France, La 2CV verte, de Manu Causse, paru chez Denoël en mars 2016, a été acheté pour 70 000 euros par l’éditeur allemand Droemer, qui le publiera le 2 mai.

Cet attrait a son revers car, comme tout emballement sur le marché des droits, les lourds investissements ne débouchent pas forcément sur des succès. Si Grégoire Delacourt ou Jean-Paul Didierlaurent ont connu le succès dans toute l’Europe, la plupart des auteurs français traduits font des ventes assez confidentielles à l’étranger.

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