Rentrée littéraire

Dossier Rentrée littéraire : la fiction d’après

Olivier Dion

Dossier Rentrée littéraire : la fiction d’après

Hantée par les attentats de 2015, la rentrée littéraire 2016 se caractérise par des textes plus sombres. Avec 560 titres et plusieurs poids lourds, elle est aussi encore plus compacte que l’an dernier en raison d’une baisse sensible du nombre de romans français.

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Par Marine Durand,
Pauline Leduc,
Claude Combet,
Agathe Auproux,
Créé le 01.07.2016 à 01h30 ,
Mis à jour le 22.09.2016 à 20h16

Après une année 2015 "glorieuse" pour Lattès, Laurent Laffont a abordé la rentrée littéraire 2016 avec "le souhait de ne pas être pléthorique", choisissant de ne présenter "que" quatre romans français et deux étrangers, ainsi qu’il l’a expliqué le 16 juin à une centaine de libraires réunis dans l’enceinte de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale. Et il n’est pas le seul parmi les éditeurs français. Dans la lignée de la rentrée de janvier, la plus resserrée depuis que ce temps fort s’est imposé dans le calendrier littéraire, les maisons présentent une moisson particulièrement compacte entre août et octobre : d’après les données établies par Livres Hebdo avec la base electre.com, 560 romans et nouvelles français et étrangers arriveront sur les tables des libraires (contre 589 en 2015), alors même que les ventes du rayon fiction ont progressé tout au long de l’année dernière. Soucieux de ne pas verser dans la surproduction tout en profitant du coup de projecteur de la rentrée, les éditeurs privilégient majoritairement les valeurs sûres, en particulier dans le domaine français. Alors que le nombre de titres passe à 363 contre 393 l’an dernier (- 7,6 %), parmi lesquels 66 premiers romans (contre 68), des plumes aguerries et multiprimées telles que Véronique Ovaldé, Nina Bouraoui ou Patrick Chamoiseau figurent dans cette rentrée, mais pas nécessairement là où on les attendait.

L’auteure, Line Papin (L’éveil), et son éditrice, Capucine Ruat (Stock).- Photo OLIVIER DION

Fort potentiel

Le cru 2016 se caractérise en effet par une valse des auteurs entre plusieurs grandes maisons littéraires, comme une conséquence du remodelage du paysage éditorial intervenu il y a trois ans. Tandis que Manuel Carcassonne, le directeur général de Stock, se félicitait dans un entretien à Livres Hebdo au début du mois (1) d’accueillir sept nouvelles plumes sur les onze qu’il programme entre août et septembre, parmi lesquels quatre premiers romans, la moitié des auteurs français de la rentrée du Seuil ont publié leur précédent livre chez un autre éditeur.

Le domaine étranger, plutôt chamboulé l’an passé par un nombre important de mouvements d’auteurs, renoue inversement avec une certaine stabilité : le nombre de titres augmente à peine, de 196 à 197, et Salman Rushdie, qui confie Deux ans, huit mois et vingt-huit nuits à Actes Sud alors que toute son œuvre était publiée chez Plon, est l’unique transfert majeur. L’auteur des Versets sataniques n’est pas le seul à porter la rentrée Actes Sud, puisque la maison retrouve Laurent Gaudé, son premier Goncourt en 2004, mais aussi Eric Vuillard ou Valentine Goby, des auteurs bien installés dans le catalogue. Grasset aussi mise sur quelques plumes expérimentées en programmant, entre autres pointures, Christophe Donner, Metin Arditi, Simon Liberati et Léonora Miano qui lui avait rapporté le prix Femina en 2013, tout comme Gallimard, qui attend beaucoup d’auteurs reconnus comme Philippe Forest, Catherine Cusset, Tonino Benacquista ou Nathacha Appanah, continue à pousser Leïla Slimani et publie pour la première fois Karine Tuil.

L’auteur, Aurélien Gougaud (Lithium), et son éditrice, Caroline Marson (Albin Michel).- Photo OLIVIER DION

Généralement, la rentrée reste une période stratégique pour les éditeurs, qui y programment leurs titres à fort potentiel en vue de la saison des grands prix d’automne. C’est d’ailleurs le moment qu’a choisi Flammarion pour publier Yasmina Reza et Serge Joncour, mais aussi Véronique Ovaldé qui a fini par suivre son ancienne éditrice de L’Olivier, Alix Penent, arrivée dans la maison fin 2011. Le Seuil multiplie les têtes d’affiche, entre les auteurs maison que sont Régis Jauffret et Andreï Makine, et les nouvelles recrues Laurence Tardieu, Stéphane Audeguy, Eric Faye et Patrick Chamoiseau. Stock, qui retrouve avec enthousiasme Luc Lang, publie notamment à ses côtés Bernard Chambaz, qui était chez Flammarion à la dernière rentrée, et Lattès, qui retrouve Nahal Tajadod après quelques livres de l’auteure chez Albin Michel, ouvre ses bras à Nina Bouraoui, qui n’aura fait qu’un titre chez Flammarion.

Si l’on retrouve des auteurs incontournables, répondant présent à chaque rentrée littéraire comme Yasmina Khadra, programmé avec Lionel Duroy et Jean Teulé chez Julliard, ou Amélie Nothomb, qui côtoie Eric-Emmanuel Schmitt, Bernard Werber et Jean-Michel Guenassia chez Albin Michel, quelques maisons misent au contraire sur l’effet d’attente, et célèbrent le retour d’auteurs qui s’étaient absentés des librairies. C’est le cas de L’Olivier qui publie, à côté de Fanny Chiarello, le nouveau roman de Jean-Paul Dubois cinq ans après Le cas Sneijder, ou encore de Calmann-Lévy dont le seul roman français de la rentrée est celui du précoce Boris Bergmann, six ans après son dernier titre paru chez Denoël. Plusieurs éditeurs, majoritairement de taille réduite, ont d’ailleurs fait le choix d’une rentrée à un seul roman en littérature française, pour donner plus de chances à un auteur d’émerger dans la production. La Table ronde se concentre sur Michel Bernard, Zulma sur Marcus Malte, grand prix des Lectrices de Elle en 2008, et L’Archipel sur Michel Embarek. Viviane Hamy accompagne François Vallejo, La Martinière suit Vincent Jolit, Corti mise sur Marc Graciano et Noir sur blanc mettra en avant Denis Michelis.

Fidélité

Cette rentrée est aussi l’occasion pour certains éditeurs de renouveler leur confiance à des écrivains émergents et dont le premier roman a été particulièrement remarqué. Ainsi, Anne Carrière espère voir Yannick Grannec remporter avec son deuxième roman un aussi beau succès qu’avec La déesse des petites victoires, prix des Libraires en 2013. Après Today we live en 2015, Le Cherche Midi publie le deuxième roman d’Emmanuelle Pirotte. Philippe Rey mettra toute son énergie dans la promotion de La suture de Sophie Daull, qui avait eu les honneurs de "La grande librairie" l’an dernier avec Camille, mon envolée, tandis que le Rouergue défendra le second titre d’Alexandre Seurat, sélectionné pour le Femina l’an passé avec La maladroite. Gauz, dont le Debout-payé avait séduit les libraires, est de retour au Nouvel Attila, et le jeune Pierre Adrian, lauréat du prix des Deux-Magots avec La piste Pasolini, livre son deuxième opus à son éditeur, Les Equateurs.

Beaucoup de maisons profitent de la rentrée pour réaffirmer leur soutien à leurs auteurs fidèles. Rivages fait paraître le nouveau titre de Céline Minard, Verticales celui de François Bégaudeau, Belfond ceux de Françoise Bourdin et Agnès Michaux, et Minuit le dernier Laurent Mauvignier, un autre poids lourd de cette rentrée. Christine Montalbetti tirera la rentrée de P.O.L, Philippe Vasset et Thierry Beinstingel sont à nouveau programmés chez Fayard, et Marek Halter chez Robert Laffont, aux côtés d’Arnaud Le Guilcher. Chez les petits éditeurs aussi, la fidélité est de mise, de Gil Jouanard chez Phébus à Isabelle Kauffmann au Passage, en passant par Stéphanie Chaillou chez Alma, Régis de Sá Moreira au Diable vauvert, Vénus Khoury-Ghata au Mercure de France, Fabien Clouette aux éditions de l’Ogre ou encore Vincent Borel et Catherine Mavrikakis chez Sabine Wespieser.

Mais pour certains éditeurs, cette rentrée 2016 devrait avoir une saveur particulière. Un goût de première fois pour Caroline Laurent, qui a créé le domaine français des Escales en février et publie le primo-romancier Jérôme Chantreau, ou pour Véronique Cardi, directrice du Livre de poche, qui s’est décidée à jouer la carte rentrée avec un titre de Michaël Uras publié dans son label Préludes. Un parfum d’exotisme pour les quelques professionnels qui reprennent, à l’occasion de la rentrée, leur casquette d’écrivain : José Alvarez, fondateur des éditions du Regard, publie son nouveau roman chez Albin Michel ; Frédéric Boyer, directeur éditorial du département sciences humaines de Bayard, poursuit sa collaboration de longue date avec P.O.L ; et Maëlle Guillaud, éditrice de littérature chez Albin Michel, verra son premier roman paraître en août chez Héloïse d’Ormesson et Jonathan Galassi, président des éditiosn new-yorkaise Farrar, Straus & Giroux, figure dans la rentrée étrangère de Fayard. M. D.

(1) Voir Livres Hebdo 1089 du 10 juin 2016.

Dix incontournables français

Une rentrée post-traumatique

 

Les romans français de l’automne se font l’écho du choc et des questions engendrées par les attentats de 2015, une tendance qui se superpose à la vague toujours vivace d’exofictions.

 

L’auteure, Elodie Llorca (La correction) et son éditrice, Emilie Colombani (Rivages).- Photo OLIVIER DION

Grande tendance des deux rentrées précédentes, l’exofiction n’a pas dit son dernier mot. Même si la production 2016 porte le sceau du choc post-attentats, les romanciers continuent à s’emparer de la vie des autres, et tout particulièrement de celles de personnalités célèbres. Après s’être notamment penché sur les amours de George Sand et de Musset dans Les enfants du siècle (Seuil), François-Olivier Rousseau s’intéresse aux premiers pas d’un grand couturier avec Devenir Christian Dior (Allary). Bernard Chambaz propose une plongée dans la vie du champion de F1, Ayrton Senna, dans A tombeau ouvert (Stock). Le destin d’un autre pilote, d’avion cette fois, est dessiné par Jean-François Roseau dans La chute d’Icare (De Fallois), sur Albert Preziosi. Michel Embareck livre à L’Archipel Jim Morrison et le diable boiteux, récit d’une amitié fictive entre le meneur des Doors et Gene Vincent, auteur de l’intemporel Bee-bop-a-Lula. Michel Bernard, Michel Layaz et Jean-Michel Guenassia s’approprient la vie de peintres ; le premier signe à La Table Ronde Deux remords de Claude Monet, le deuxième Louis Soutter probablement (Zoé) et le troisième imagine les derniers jours de Van Gogh, loin de la version officielle, dans La valse des arbres et du ciel (Albin Michel).

L’éditrice, Pascale Gauthier (Buchet-Chastel), et l’auteure, Marie Barthelet (Celui-là est mon frère).- Photo OLIVIER DION

Les écrivains s’emparent également des destins de leurs pairs et s’invitent plus particulièrement dans l’existence des poètes. Thierry Beinstingel ressuscite le célèbre auteur d’Illuminations dans Vie prolongée d’Arthur Rimbaud (Fayard). Les pêcheurs d’étoiles (Le Passage) de Jean-Paul Delfino raconte une nuit épique qui rassemble Blaise Cendrars, Erik Satie et Jean Cocteau, tandis que Vénus Khoury-Ghata s’attarde sur la pénible mort du Russe Ossip Mandelstam dans Les derniers jours de Mandelstam (Mercure de France). Lucie Desbordes se glisse dans la personnalité de son aïeule pour livrer chez Bartillat Le carnet de Marceline Desbordes-Valmore, journal intime de la poétesse tant admirée par Baudelaire ou Verlaine.

L’écho des attentats

Au-delà de la formule "inspirée de personnages réels", la réalité s’invite douloureusement dans la rentrée littéraire. Les écrits des romanciers français font écho au choc et au vertige que chacun a ressentis suite aux attaques terroristes de janvier et de novembre 2015. Certains imbriquent le basculement du monde extérieur dans celui des vies intimes de leurs personnages. Pour la narratrice d’A la fin le silence de Laurence Tardieu (Seuil), la faille du réel entraînée par les attentats entre en résonance avec la perte annoncée de ses propres repères puisqu’elle doit vendre la maison de son enfance. Chez Arnaud Cathrine, avec A la place du cœur (Robert Laffont) c’est le bouleversement d’un premier amour qui se mêle à celui causé par le massacre de Charlie Hebdo. Il est encore question d’amour dans Foudroyé de Gérard Krawczyk (Le Cherche Midi) qui met en scène un homme découvrant à la télévision le 8 janvier le témoignage déchirant de sa maîtresse, dont il est épris, qui vient de perdre l’amour de sa vie dans les attentats de la veille. D’autres s’attachent à raconter "ce jour-là". Avec Paris, 13 novembre 2015, Christian Lejalé livre chez Imagine & Co une fiction qui respecte scrupuleusement le déroulement d’un vendredi soir qui n’aurait dû avoir de marquant que la douceur de sa température. Sur la question du hasard et des microdécisions qui peuvent changer définitivement une vie, Julien Suaudeau bâtit Ni le feu ni la poudre (Robert Laffont), un roman qui suit, le temps d’une journée de novembre, cinq personnages qui se rapprochent ou s’éloignent de la salle du Bataclan.

Radicalisation et double nationalité

Après le choc, les questions. Déjà présent dans la production littéraire de la rentrée précédente, le sujet de la radicalisation s’invite de plus belle dans la production romanesque de l’automne. Mohamed Nedali interroge le processus d’embrigadement en prison dans Evelyne ou le djihad ? (L’Aube), l’histoire d’un jeune homme convaincu par son voisin de cellule de partir faire le djihad mais qui pourrait bien en être détourné par une belle rencontre. Une pointe d’espoir absente du roman de Fouad Laroui, Ce vain combat que tu livres au monde (Julliard), dans lequel un brillant ingénieur victime de discrimination raciale se retrouve au chômage avant de sombrer dans l’extrémisme religieux. C’est dans cet univers qu’enquête le jeune héros de L’homme qui voyait à travers les visages (Albin Michel), nouveau roman d’Eric-Emmanuel Schmitt qui s’ouvre sur une vague d’attentats qui ensanglante Charleroi. La question de la déchéance de nationalité, un temps envisagée par François Hollande pour punir les terroristes binationaux, a aussi inspiré certains écrivains. Nina Yargekov livre dans Double nationalité (P.O.L) un texte empreint d’humour qui explore la cohabitation chez la narratrice de plusieurs identités, tandis qu’Omar Benlaala évoque au travers de L’effraction (L’Aube) la binationalité, mais aussi l’islam de France.

Jeunesse dans la tourmente

Si les errances de l’adolescence représentent un thème récurrent de la littérature contemporaine, les romans français de la rentrée mettent aussi l’accent sur la quête de sens. Tropique de la violence (Gallimard) de Nathacha Appanah plonge le lecteur dans l’enfer d’une jeunesse désœuvrée et livrée à elle-même sur l’île française de Mayotte. Toujours chez Gallimard, Nicolas Idier ausculte une nouvelle génération de Pékinois qui, pour fuir la réalité, vivent d’excès (Nouvelle jeunesse). Perdus et désenchantés, les deux jeunes héros de Lithium, roman d’Aurélien Gougaud (Albin Michel), étanchent leur soif de vivre dans l’alcool et la fête. Boris Bergmann, dans Déserteur (Calmann-Lévy), rédige le journal intime d’un jeune homme en quête d’engagement qui se voit confier par l’armée française la programmation de drones tueurs. D’autres auteurs s’intéressent à ces jeunes des "quartiers" qui cherchent leur place dans la société. C’est sur ce sujet que se penche Magyd Cherfi, ancien parolier du groupe Zebda, dans Ma part de Gaulois, autofiction littéraire éditée par Actes Sud. De même, Driss raconte dans Le marquis Jamel de Sarcelles (Fleur sauvage) les échecs et les aventures d’un adolescent rêvant de découvrir autre chose que sa banlieue.

Un futur apocalyptique

Le climat anxiogène, particulièrement exacerbé depuis les attentats, donne naissance pour cette rentrée à des romans d’anticipation qui se font le reflet des craintes et des traumatismes de l’époque. Avec De profundis (Le Cherche Midi) Emmanuelle Pirotte plonge l’Europe dans le chaos suite à l’arrivée du virus Ebola III. Catherine Mavrikakis signe chez Sabine Wespieser Oscar de Profundis, une fable apocalyptique dans laquelle les riches ont abandonné le centre-ville de Montréal à des hordes de sans-abris. L’avenir n’est pas plus rose dans Carnage (Ring) de Laurent Obertone où une descente de police tourne au drame, entraînant le pays dans la guerre civile. Cette dernière menace l’univers manichéen que dessine Karim Amellal dans Bleu, blanc, noir (L’Aube), une plongée dans un pays dirigé par l’extrême droite. C’est sous le mandat d’une blonde facilement identifiable, ayant notamment instauré un "ministère du racisme efficace", que se déroule Moi, présidente, un roman signé Gérard Mordillat qui arrive chez Autrement. Ce sont aussi les femmes qui s’octroient, par la force, le pouvoir dans Les sorcières de la République (Seuil) de Chloé Delaume. Un règne qui tourne mal puisqu’une amnésie générale est appliquée à l’ensemble de la population. La note de légèreté, nécessaire en cette rentrée assez sombre, se trouvera dans La rentrée n’aura pas lieu (Don Quichotte) un roman de Stéphane Benhamou. Il y raconte comment, face à la crise et au terrorisme, 11 millions de vacanciers du mois d’août décident de sécher la rentrée et de rester en vacances. P. L.

Autant de premières fois

 

Ils traitent de la quête identitaire des femmes ou de la beauté et du hasard de la première rencontre amoureuse : 66 primo-romanciers, un nombre quasi équivalent à celui de l’an passé, mais sur un total moindre de romans français, font leurs premiers pas en littérature à l’occasion de cette rentrée.

 

L’auteur, Olivier Liron (Danse d’atomes d’or), et son éditeur, Jean-Maurice de Montremy (Alma).- Photo OLIVIER DION

Ily avait 68 premiers romans à l’automne 2015, ils sont 66 cette année. Les éditeurs poursuivent avec stabilité leur quête de nouvelles voix, certains plus massivement que d’autres. Quatre maisons majeures, Albin Michel, Flammarion, Gallimard et Stock publient chacune trois premiers romans. Il en va de même pour la maison d’édition alsacienne Jérôme Do Bentzinger, qui parie elle aussi sur trois nouveaux auteurs.

Parmi ces primo-romanciers, une fois n’est pas coutume, beaucoup plus d’hommes (39) que de femmes (26), et une originalité, le collectif Ajar, pour Association de jeunes auteur-e-s romandes et romands, qui explore les potentialités de la création littéraire en groupe. Les journalistes et les enseignants restent majoritaires dans ce cru 2016, où se distinguent Arnaud Sagnard, directeur des pages tendances de L’Obs, Anne Glacet, professeure d’anglais remplaçante, Anaïs Llobet qui travaille pour l’AFP Moscou, ou encore Frédéric Gros qui enseigne la pensée politique à Sciences po. Le cinéma, la télévision et le théâtre sont également bien représentés parmi les impétrants, qui comptent notamment les actrices Lou Bohringer et Charlotte Valandrey, les réalisateurs Stéphane Benhamou ou Négar Djavadi, et le dramaturge Guy Boley, à côté d’une éditrice d’Albin Michel, Maëlle Guillaud. Venus de milieux bien éloigné des industries culturelles, Patrice Gain est ingénieur en environnement, Catherine Noll travaille dans les assurances et Thomas Giraud est docteur en droit. Mentions spéciales pour François Mayer qui signe son premier roman à l’âge de 91 ans et à Line Papin qui a écrit le sien à 21 ans.

L’auteure, Elitza Gueorguieva (Les cosmonautes ne font que passer), entourée de ses éditeurs, Yves Pagès et Jeanne Guyon (Verticales).- Photo OLIVIER DION

La quête de soi

Petite fille, en pleine adolescence ou à l’âge adulte, la femme dans sa quête identitaire fascine quelques-uns des primo-romanciers de la rentrée 2016. L’héroïne d’Elitza Gueorguieva, dans Les cosmonautes ne font que passer (Verticales), grandit au milieu des changements de la Bulgarie, de la dictature de la fin des années 1980 au postcommunisme. Damien Desbordes, chez Sulliver, met en scène Ambre dans Au pays des femmes cachées, jeune amnésique qui vit dans un foyer et décide de partir pour la Palestine, pour se reconstruire. Dans Une poupée au pays de Daech, chez Alma, Eli Flory livre un récit sur le corps des femmes, leur place dans la société, le rôle qu’elles jouent et qu’on leur fait jouer.

Premier roman, première rencontre

L’amour, thème récurrent s’il en est, est cette année particulièrement traité à travers le prisme de la première rencontre. Chez Elisa Shua Dusapin dans Hiver à Sokcho (Zoé), une jeune Franco-Coréenne tombe amoureuse d’un auteur de bande dessinée en quête d’inspiration. Dans Lithium (Albin Michel) d’Aurélien Gougaud - le fils du conteur Henri Gougaud -, elle est sur le point de partir en Australie, lui est commercial à La Défense. Ils ont tous deux 25 ans, et leur rencontre est partagée entre la fougue de vivre intensément et la peur de s’engager. Chez Serge Safran, dans L’amour hors sol, Mathias Lair raconte une "deuxième première rencontre" à travers ses protagonistes Alexia et Frédéric, qui se retrouvent vingt ans après pour enfin s’aimer pleinement. Ils vivent le bouleversement de la première fois, des jeux de petite perversité jusqu’à la réinvention des sentiments.

Deux ovnis

Les premiers romans de Catherine Baer, chez Jérôme Do Bentzinger, et d’Ali Zamir, au Tripode, se démarquent par leur forme narrative. Le premier, Darius à Grendelbruch, adopte le point de vue d’un chiot, jeune teckel de quelques mois, qui raconte ses premières vacances dans un petit village d’Alsace avec ses maîtres. Le deuxième, Anguille sous roche, le plus original, tient en une seule phrase qui fait 320 pages. Ali Zamir fait parler une femme sur le point de se noyer dans l’océan Indien. Ce premier roman, sans autre point que celui de la toute fin du livre, est son dernier souffle. A. A.

Nos amis américains

 

Avec une production stable, la rentrée étrangère 2016 est fortement influencée par l’organisation en septembre du festival America, mêlant découvertes et rendez-vous avec les auteurs reconnus.

 

Le Festival America, qui se déroulera du 8 au 11 septembre sur le thème de "L’Amérique dans tous ses Etats", donnera le coup d’envoi de la rentrée littéraire étrangère. Les livres des auteurs invités composent une balade qui fait la part belle à New York où l’on retrouve les marginaux d’Atticus Lish (Buchet-Chastel), la ville des années 1980 de Molly Prentiss (Calmann-Lévy), le Brooklyn de Sergio de la Pava (Le Cherche Midi) ou la grosse pomme pendant l’ouragan Sandy par Ben Lerner (L’Olivier). Les lecteurs arpenteront aussi les vastes territoires du pays avec la troupe itinérante d’Emily St John Mandel (Rivages), le Maine avec Ann Beattie, une nouvelliste présentée comme l’héritière d’Alice Munro (Bourgois), le Montana avec Smith Henderson (Belfond), le Dakota du Sud avec Dan O’Brien (Au Diable vauvert), le Texas des années 1920 avec Virginia Reeves (Stock), et même l’Iowa avec Jane Smiley (Rivages), la Caroline du Nord avec David Joy (Sonatine), et le Minnesota avec David Treuer (Albin Michel). Les villes mythiques du pays ont une belle place dans la production étrangère. Wendell Pierce, producteur et acteur dans The wire et Treme, a choisi La Nouvelle-Orléans après Katrina (éditions du Sous-sol), Megan Kruse s’est attachée à Seattle (Denoël), tandis que Stewart O’Nan place son intrigue à Hollywood (L’Olivier). Sans oublier la Jamaïque de Marlon James, dont Brève histoire de sept meurtres a reçu le Man Booker Prize 2015 (Albin Michel). Parallèlement, le festival rendra hommage à Jim Harrison, décédé en mars, dont Flammarion publie Le vieux saltimbanque.

Découvertes

Les lecteurs ont aussi rendez-vous avec Dermot Bolger (Joëlle Losfeld), Nickolas Butler (Autrement), Jonathan Coe (Gallimard), Jim Fergus (Le Cherche Midi), Bruce Holbert (Gallmeister), Howard Jacobson (Calmann-Lévy), Chris Kraus et son sulfureux I love Dick (Flammarion), Wally Lamb (Belfond), Dylan Landis (Plon), Henning Mankell avec un livre posthume (Seuil), Joyce Maynard (Philippe Rey), Eduardo Mendoza et Antonio Muñoz Molina (Seuil), Edna O’Brien (Sabine Wespieser), Audur Ava Olafsdottir (Zulma), Enrique Serna (Métailié), Gonçalo M. Tavares (Viviane Hamy), Colm Tóibín (Laffont) et Alissa York, quittant Joëlle Losfeld pour Liana Levi.

Du côté des découvertes, on lira les premiers romans des Américains Dan Marshall (Kero), Emma Cline (Quai Voltaire) avec The girls, Craig Clevenger (Le Nouvel Attila), Sara Novic (Fayard), et ceux des Britanniques Kit De Waal (Kero) et Guinevere Glasfurd (Préludes), de l’Espagnol Natalio Grueso (Presses de la Cité), de l’Italien Davide Enia (Albin Michel), du Danois Iben Mondrup (Denoël) ou de la Chinoise Tsou Yung-Shan (Piranha). Deux nouvelles maisons feront aussi leur première rentrée littéraire : L’Antilope, spécialisée dans la littérature juive, ainsi que Louison, qui s’attache à faire découvrir les auteurs russes.

Pour se repérer parmi les 197 titres traduits programmés entre septembre et octobre (ils étaients 196 en 2015), les grands prix littéraires étrangers sont des boussoles ayant de plus en plus d’écho en France. On attend donc M pour Mabel d’Helen Macdonald (Fleuve éditions), Costa Award et Samuel Johnson Prize ; Une nuit, Markovitch d’Ayelet Gundar-Goshen, prix Sapir du Premier roman en Israël (Presses de la Cité) ; Après l’hiver de la Mexicaine Guadalupe Nettel, prix Jorge-Heralde en Espagne (Buchet-Chastel) ; Les vies de papier de Rabih Alameddine, finaliste du National Book Award (Les Escales) ; Frankenstein à Bagdad d’Ahmed Saadawi, prix international du Roman arabe 2014, La vie des autres de Neel Mukherjee, finaliste des Man Booker et Costa Award, et En vie de David Wagner, prix de la Foire de Leipzig 2013, tous trois chez Piranha. Tandis que Voici venir les rêveurs de la Camerounaise Imbolo Mbue, sur la chute de Lehman Brothers, s’il n’a pas reçu de prix a suscité de belles enchères à Francfort, remportées pour la France par Belfond.

Etranges univers

Plusieurs curiosités sont au programme de cette rentrée comme Tabou de l’Allemand Ferdinand von Schirach (Gallimard) autour de la figure de Louis Daguerre ; Bekomberga, un roman sur la folie de Sara Stridsberg, entrée à l’Académie suédoise (Gallimard), ou N’essuie jamais de larmes sans gants de Jonas Gardell, le roman suédois des années sida (Gaïa). Histoire de Knut, dans lequel Yoko Tawada fait parler trois générations d’ours polaires (Verdier), Amour monstre, un livre culte sur la monstruosité de Katherine Dunn, finaliste en 1989 du National Book Award (Gallmeister), et Les élus de Steve Sem-Sandberg (Robert Laffont), sur les enfants cobayes des nazis rappelant Les Bienveillantes, nous entraînent dans des univers encore plus étranges. A moins qu’on ne préfère le premier roman inédit de l’Uruguayen mort en 2009, Mario Benedetti, Qui de nous peut juger (Autrement), ou le livre culte écrit en 1972, Watership Down de Richard Adams (Monsieur Toussaint Louverture), vendu à 50 millions d’exemplaires et passé inaperçu en France. Ce n’est pas le seul classique à qui les éditeurs tentent de donner une nouvelle chance. Liana Levi programme Mélodie de Vienne de l’Autrichien Ernst Lothar, "une perle retrouvée de la Mitteleuropa" qui n’avait jamais été traduite intégralement, tandis que Fayard tente une nouvelle traduction de La montagne magique de Thomas Mann. C. C.

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