Etude

Editeurs 100 % numériques

Editeurs 100 % numériques

Dans l’expérimentation permanente de la construction d’un modèle d’édition, les pure players numériques apprennent à vivre dans un univers instable. Pour remédier à leur énorme problème de visibilité, une partie d’entre eux se tourne vers le papier. Une étude du Labo de l’édition et du Motif.

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Par Hervé Hugueny
Créé le 20.03.2014 à 19h11 ,
Mis à jour le 26.03.2014 à 13h23

Si leurs entreprises sont jeunes, les acteurs de l’édition 100 % numérique sont d’un âge moyen, raisonnablement mûr : 39 ans selon l’étude du Motif et du Labo de l’édition, la première du genre présentée ce 21 mars lors des assises numériques du Syndicat national de l’édition, au Salon du livre (1). Quelque 107 maisons ont été contactées, 50 ont répondu, révélant une sensibilité à l’intérêt qui leur était manifesté bien supérieure à celle des éditeurs papier, aussi sondés sur leurs pratiques numériques (955 sollicités en Ile-de-France, 48 réponses, dont celles des groupes Editis, Hachette Livre et Madrigall).

S’il est sans doute exaltant de participer à la construction d’un autre écosystème du livre, c’est aussi très énergivore, en raison de l’instabilité permanente de cet univers. "Il faut être réactif à tout, parfois même anticiper les changements. Cela demande une veille active et remet constamment en cause un modèle économique déjà fragile", déclare un éditeur numérique cité. "La vraie révolution, c’est l’accélération du temps", ajoute un éditeur traditionnel. D’où la nécessité d’un profil solide : outre l’expérience, les créateurs manifestent "un esprit d’entreprise fort", constatent les auteures de l’étude. Ils participent aussi au renouvellement du milieu : "60 % viennent de secteurs sans lien direct avec le livre", mais ils sont rarement issus de la technologie. Ils ont souvent exercé des fonctions marketing, un profil recherché aussi des éditeurs papier.

 

"Le Web est frustrant et insuffisant"

La jungle numérique est un piège, en ce sens qu’elle n’oppose presque aucune barrière à l’entrée : "Je n’ai maintenant aucun retour, aucun office, je suis diffusé dans le monde entier, sur les petites comme sur les grandes plateformes, je n’ai pas à aller convaincre les distributeurs ou les libraires", témoigne un éditeur numérique de littérature générale. Cette apparente simplicité d’accès au marché se paie d’une dépendance totale de ces entreprises à l’égard d’une poignée de géants de l’Internet. Les pure players n’ont que quatre ans d’existence en moyenne (six pour la doyenne), produisent surtout de la fiction (littérature générale, de genre, poésie, théâtre), sont déficitaires pour 56 % des répondants, avec une activité très modeste : 58 % sont à moins de 50 000 euros, une seule à plus d’un million d’euros. Les éditeurs traditionnels qui se sont lancés réalisent souvent des ventes bien supérieures, bien que très minoritaires par rapport à leur activité papier. D’où le recours à la production papier pour 36 % de ces éditeurs purement numériques au départ, qui font imprimer leurs meilleures ventes. Il faut "aller au-devant des lecteurs dans des espaces physiques, car le Web est frustrant, insuffisant", reconnaît un pure player de littérature générale. "Sur toutes les plateformes de contenu, il est difficile de faire ressortir les œuvres du fonds […]. Je suis persuadé que les libraires ont un rôle absolument essentiel […] pour faire connaître au public que les œuvres existent", estime Marc Minon, directeur général de Cairn, portail de l’édition de sciences humaines.

 

Surtout, le papier permet de résoudre l’énorme problème de visibilité auquel sont confrontés les éditeurs numériques. "Certes on peut avoir de la publicité sur Amazon ou sur iTunes, mais comparé à la librairie on a finalement un tout petit espace […]. Pour la diffusion de l’œuvre, c’est donc beaucoup plus compliqué", regrette un éditeur numérique. Internet donne une image de ce que serait le commerce du livre sans la variété et la diversité des points de vente physiques. Les éditeurs de fiction sont ainsi très dépendants d’Amazon, et ceux de la jeunesse ou de la BD ne pourraient vivre sans Apple, surtout s’ils produisent des applications, quasi impossibles à rentabiliser aujourd’hui. En dépit des efforts "chronophages" pour assurer cette visibilité via les réseaux sociaux, les blogs ou leur propre site, la promotion par le prix proposée par ces sites surpuissants a finalement l’effet et le danger d’une drogue dure : "En une semaine, on a fait trois mois de chiffre d’affaires sur cinq titres vendus normalement entre 5 et 10 euros et proposés à 99 centimes", rapporte un éditeur numérique. Les nouveaux marchés (exports, revente de contenus) sont encore balbutiants. Les éditeurs papier, pour protéger le poche, sont bien plus réticents avec ces jeux de prix. Le numérique peut être aussi déstabilisant à l’intérieur même de ces maisons, qui doivent poursuivre pour des raisons de rentabilité leur production traditionnelle.

(1) "Pratiques d’éditeurs : 50 nuances de numérique", étude réalisée par Aurélia Bollé, Marie-Christine Roux (Motif), Virginie Rouxel (Labo de l’édition) avec le soutien du CNL. PDF disponible sur les sites du Motif, du CNL et du Labo de l’édition. 

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