Dossier Nature

Extension du domaine de l'écologie

Bouquet de fleurs de pavots. - Photo photos : Olivier Dion

Extension du domaine de l'écologie

Galvanisés par la crise sanitaire et les confinements, qui ont renforcé le besoin de connexion des hommes avec la nature et le jardin, les éditeurs cherchent à retenir ce nouveau public en lui proposant des livres plus incarnés et toujours plus transversaux.

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Par Par Cécile Charonnat
Créé le 12.02.2021 à 15h26

Rarement les chiffres ont aussi peu reflété l'état d'esprit de l'ensemble des acteurs du marché des livres de nature et de jardinage. Alors qu'à fin novembre, les ventes de 2020 affichaient un recul de 15 % en valeur et 17 % en volume selon l'estimation de l'institut GFK, la plupart des éditeurs manifestent une étonnante sérénité. « C'est moins catastrophique que ce que nous redoutions à la fin du premier confinement qui est intervenu en plein dans nos opérations de printemps », se réjouit Élisabeth Pegeon. Comme certains de ses confrères, la directrice éditoriale de Rustica prévoit même de terminer l'année avec une baisse de chiffre d'affaires de moins de 10 %, les ventes estivales ayant été ultra-dynamiques et celles de fin d'année promettant d'être « exceptionnelles », confirme Brigitte Michaud chez Terre vivante.

Coup de projecteur

Même si quelques sources d'inquiétudes persistent, elles n'altèrent en rien la confiance des éditeurs. Certes, les retours de janvier peuvent grever le début de l'année. S'y s'ajoute l'incertitude sur les conditions sanitaires au prochain printemps, une période traditionnellement forte pour les livres de jardinage et de nature. Dans les petites maisons, l'endettement engendré par les prêts garantis par l'état constitue un autre point d'interrogation. « Ce sont des coussins qui ont amorti le choc et nous ont permis de passer 2020 sans difficultés de trésorerie mais il faudra bien les rembourser », alerte Thomas Bout. Malgré tout, le directeur de Rue de l'échiquier préfère considérer le verre à moitié plein. « Cette crise qui, pour moi, est avant tout écologique met un nouveau coup de projecteur, certes dramatique, sur nos productions. »

Principaux éditeurs

Sur un marché en bonne forme depuis 2017, l'épidémie a, de l'avis de tous, encore renforcé l'intérêt pour les sujets touchant à la nature, à l'écologie, à l'autosuffisance et au jardin. Avec une baisse limitée à -3,7 % en valeur, « une véritable prouesse » pour la directrice générale de Marabout, Élisabeth Darets-Chochod, ce dernier sort même grand gagnant de 2020 alors qu'il marquait le pas devant la nature depuis trois ans. « 2020 est une année charnière pour le jardin. Il y aura un avant et un après dans le rapport des gens avec leur environnement », veut croire Brigitte Michaud.

Vivacité du secteur

Autre bonne nouvelle, le fonds retrouve de l'allant. Déjà observée l'année dernière, la tendance s'est amplifiée en 2020. Ulmer, qui a réalisé une année exceptionnelle, annonce une hausse de 15 % en moyenne des ventes d'ouvrages de fonds avec, sur certains titres, une progression de 40 à 50 % selon Emmanuelle Christophe, éditrice de la maison. Même son de cloche chez Plume de carotte, Rue de l'échiquier ou Delachaux & Niestlé qui estime la progression à 5 % en moyenne. Michel Larrieu, nouveau patron de la filiale du groupe La Martinière, observe également une baisse notable des retours.

Reconquis par la vivacité du secteur, certains acteurs y opèrent un retour en force. Sous la houlette de Suyapa Hammje, qui en a pris la direction en 2019, Tana se positionne désormais comme un « éditeur tourné vers l'écologie au sens large qui a pour but de contribuer au changement des mentalités.  » S'appuyant sur le beau succès du Potager d'un paresseux, de Didier Helmstetter et de sa déclinaison parue en 2020, Réussir son potager du paresseux, « deux livres fondateurs qui représentent l'essence même des valeurs de Tana », l'éditrice annonce deux ouvrages « majeurs » en 2021 dont, en mars Réussir son potager bio en partant de zéro. Signé André Abrahami, ce guide pratique « répond à ce besoin absolu de reconnexion à la nature particulièrement vrai pour les citadins », estime Suyapa Hammje.

En vogue sur Instagram

Maison historique sur le jardin, Marabout a mis les bouchées double en 2020 et poursuit cette stratégie avec une attention particulière vers les jeunes adultes. « La nature et l'écologie s'invitent partout et le jardin est un secteur potentiellement en explosion, analyse Élisabeth Darets-Chochod. Les jeunes et les trentenaires y sont particulièrement sensibles. C'est à nous d'en convaincre les libraires et de jouer notre partition éditoriale en trouvant des auteurs qui modernisent les thèmes et surtout les approches. » Pour parler aux jeunes, l'éditrice est allée chercher sur les réseaux sociaux ce qui fait le buzz. Elle y a déniché Maison rustique, à paraître le 29 mars. De cette encyclopédie en cinq volumes publiée au milieu du XIXe siècle et délaissée lorsque les techniques modernes d'agriculture sont apparues mais très en vogue sur Instagram, la filiale d'Hachette en propose une version expurgée, enrichie de mises à jour et modernisée dans sa maquette.

Prisés, les influenceurs du jardin se retrouvent désormais dans la majorité des programmes éditoriaux. Fin mars, Solar propose Les Permaventures de Julie et Ulmer fait une large place à Brian Ejarque, un Youtubeur qui raconte sa transition de citadin à néoautonomiste (Oser quitter la ville !). Un sujet qu'explore également Jouvence avec Tu veux vraiment t'installer à la campagne ? (mars), à mi-chemin entre le récit et le guide pratique. Chez Larousse, Nathalie Viard, nouvelle responsable éditoriale pour le jardin et la nature, mise sur Des pots, des plantes et un beau jardin ! par Corentin et Les leçons de permaculture de Zeprofdortie. Elle convertit également ses auteurs traditionnels comme Serge Schall qui, avec 50 plantes effet waouh, conjugue tendance à la mode (plantes d'intérieur) et « envie d'instagrammer ce que l'on a chez soi ».

Vision transversale

Outre leur audience et leur notoriété, ces nouveaux auteurs ont aussi l'avantage de produire des livres incarnés qui exposent une expérience. « Ils agissent comme les chefs en cuisine il y a vingt ans, observe Nathalie Viard. Ils se mettent en scène et se racontent », un mode de narration très accessible qui séduit particulièrement les jeunes et les débutants au jardin. Poussant cette logique jusqu'au bout, Terre vivante sollicite en mars la cuisinière Marie Chiocca qui présente Mon fabuleux jardin en permaculture.

Cette politique complète le mouvement observé depuis deux à trois ans dans les livres de nature et de jardinage où croisement des thématiques et vision transversale des sujets sont devenus la norme. « Les frontières sont plus poreuses que jamais entre nature, jardins, environnement et problématiques sociales et de bien-être », confirme Brigitte Michaud qui mixe bonheur, éléments naturels et potager nourricier dans Le bonheur est au jardin, envoyé aux libraires le jour de la journée internationale du bonheur (21 mars).

Chez Rustica, la diététique entre au potager (Un potager pour manger sain toute l'année, mars) et l'ésotérisme, autre secteur en vogue, investit jardins et nature (Mon jardin de sorcière : carrés magiques, plantes et runes, février). « Il s'agit désormais de mettre en perspective un mode de vie global, un art de vivre qui va de l'inscription de chacun dans son environnement - de ce que l'on fait entrer chez soi et dans son jardin, comment on s'en occupe, ce que cela nous procure et ce que l'on fait de la production récoltée et du traitement des déchets - à son positionnement dans la société », analyse Élisabeth Pegeon. Mais aussi de prévoir le coup d'après, de renouveler les ouvrages et d'anticiper ce qui permettra à chacun de tirer son épingle du jeu dans un marché qui se dirige tout droit vers la surproduction et la saturation.

Delachaux & Niestlé prend une nouvelle direction

Après avoir présidé pendant 17 ans à la destinée de la plus ancienne des maisons spécialisées dans les livres de nature, Philippe J. Dubois s'éloigne du devant de la scène. « Je mets fin à mes activités salariées à la direction de Delachaux & Niestlé mais je ne quitte pas totalement la maison.Je vais y assurer des missions de conseil et, pourquoi pas, y diriger une collection », précise l'ornithologue de 65 ans. Pour Michel Larrieu, qui a officiellement succédé à Philippe J. Dubois le 1er janvier, « son concours scientifique reste en effet indispensable. » Grand connaisseur de la maison puisqu'il y est éditeur depuis 22 ans, Michel Larrieu ne compte pas révolutionner Delachaux & Niestlé mais poursuivre la politique menée par son prédécesseur. Il s'appuiera notamment sur un fonds très riche, en particulier la célèbre collection des « Guide du naturaliste » qui comporte plus de 100 titres et devrait s'enrichir cette année d'un nouveau volume sur les tomates. Il entend également accentuer le développement de la jeunesse, amorcée l'année dernière. Trois axes seront explorés en 2021 : l'aspect purement naturaliste avec la collection « Doc histoire » ; l'aspect environnemental et les beaux albums. « Nous avons cherché ce qui peut être différenciant, une nécessité dans un domaine comme la jeunesse qui fonctionne bien mais qui est aussi déjà très travaillé », détaille Michel Larrieu. Le nouveau directeur mettra également l'accent sur les essais et les documentaires et annonce en septembre un texte de l'ingénieur et conférencier Arthur Keller, Face au chaos, « qui se concentre sur les manières de s'en sortir ».

Plume de carotte : de nature à faire bouger la société

21 mars 2001. Mon jardin de poche, un coffret pour les enfants, inaugure le catalogue de Plume de Carotte. Pour fêter les 20 ans de sa maison, son fondateur, Frédéric Lisak, revisite l'ouvrage et le republie au printemps en version collector. « En le feuilletant à nouveau, je me suis rendu compte qu'il avait peut-être plus d'actualité aujourd'hui », explique l'éditeur qui fera subir le même sort à une poignée de livres marquants dans l'histoire de la maison. Les festivités ne devraient pas s'arrêter là. En plus de s'offrir un nouveau logo, Frédéric Lisak a programmé une trentaine de rencontres en librairie si les conditions sanitaires le permettent. Le but ? « Exposer l'histoire de la maison, dire et redire l'importance du rapport à la nature et revenir sur l'évolution constatée en vingt ans dans la société. Aujourd'hui, le public est sensibilisé mais il manque encore les actions. Rien ne s'est vraiment arrangé dans la coupure entre l'homme et la nature », martèle l'éditeur. Un livre anniversaire racontera également cette évolution. Diffusé en libraire et en presse, l'ouvrage d'une centaine de pages montrera l'envers du décor grâce à des « making-of » de livres ou de collections. Avec, en filigrane, le glissement de la ligne éditoriale de la maison. Les dix premières années, Plume de Carotte a publié essentiellement des livres qui relevaient du témoignage mémoriel, comme les herbiers. « Il s'agissait surtout de remettre au goût du jour des choses et des savoirs oubliés », analyse Frédéric Lisak. Mais depuis sept à huit ans, les sujets sont traités davantage sous un angle sociétal et avec l'envie de sensibiliser sans toutefois tomber dans le discours militant. « Aujourd'hui, on ne peut plus se permettre de simplement montrer les richesses de la nature. A travers nos livres, il nous faut signaler que l'on peut réfléchir et faire autrement. »

Observation animale, le retour en grâce

Alors que les animaux de compagnie maintiennent le cap, la crise sanitaire a confirmé l'engouement du public pour l'observation et la préservation de la biodiversité, conduisant les éditeurs à retravailler leurs fondamentaux.

Chats (et chiens), valeurs sûres du segment.- Photo © CC BY-SA 3.0

D'une constance remarquable, le marché des livres sur les animaux n'a pas subi outre mesure les conséquences de la crise sanitaire. Chats et chiens, valeurs sûres du segment, ont même représenté « un gros sujet de confinement, surtout chez les millenials », note Élisabeth Darets-Chochod, directrice générale de Marabout. « C'est très curieux mais nous avons eu l'impression que cela a plutôt renforcé le besoin de les comprendre.C'est particulièrement vrai pour le chat, qui reste un animal énigmatique », ajoute Olivia Recasens. La directrice du label HumenSciences et du secteur nature chez Belin se félicite ainsi des bonnes performances de Dans la tête d'un chat, de Jessica Serra, pourtant publié le 12 février 2020 et creuse le sillon du décryptage du comportement animal en 2021 en lançant une collection dirigée par l'autrice. Baptisée « Mondes animaux » , elle vise à « essayer de se mettre à la place des animaux et à comprendre leur point de vue sans tomber dans l'anthropomorphisme », détaille l'éditrice. La bête en nous, titre inaugural, arrivera en librairie en mars.

Le coup du lapin

À l'image d'Olivia Recasens, la majorité des éditeurs oriente leur production vers le bien-être, le comportement et l'intelligence animale. Avec toutefois un retour à des livres « moins ésotériques et plus pratiques », observe Emmanuelle Christophe. L'éditrice d'Ulmer propose ainsi une nouvelle collection autour des races de chat qui obéit au principe de « l'éducation éthologique et donne les clés pour les sociabiliser selon leurs caractères. » Elle teste également un Guide du lapin heureux qui dépoussière le sujet et permet, grâce à une éducation appropriée, de laisser en semi-liberté le quadrupède, troisième animal de compagnie en France.

Autre domaine très porteur sur le marché des animaux, l'observation et la préservation de la biodiversité, en particulier des oiseaux. Là encore, pour conserver le public gagné tout au long de 2020, les éditeurs rajeunissent formats et auteurs. Marabout fait appel à l'illustratrice Colonel Moutarde qui utilise la BD pour sensibiliser les lecteurs sur la petite faune urbaine. Un genre également emprunté par Larousse pour renouveler le guide d'observation (Mais comment s'appelle cet oiseau ?, mars). Chez Belin, Olivia Recasens se risque également à deux nouvelles collections d'identification de la faune et de la flore après avoir modernisé ses gammes phares. « En toute nature » offre une approche inédite qui allie « découverte de la nature, écologie et tourisme », indique l'éditrice qui débute la série avec un titre sur la Corse publié en mars. Quelques jours plus tard, elle enverra aux libraires le premier ouvrage, consacré à la campagne, de Mes balades écolos. Rompant avec l'organisation et le graphisme traditionnels des guides d'identification, la collection est dirigée par le Youtubeur Mathieu Duméry, alias Professeur Feuillage, chargé de lui donner un ton moins savant. Véritable « ouverture familiale et bienveillante à la nature sous toutes ses formes », elle est entièrement illustrée par le dessinateur Arnaud Taitelin, ce qui lui confère son identité graphique, et sera enrichie à l'automne d'un deuxième titre sur la forêt.

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