Histoire de l’édition

Flammarion/2 : 140 ans de librairies

La Librairie Flammarion, 36 bis, avenue de l’Opéra à Paris dans les années 1950. - Photo Archives Flammarion

Flammarion/2 : 140 ans de librairies

Au XIXe siècle, les éditeurs sont souvent libraires, mais Flammarion est l’une des dernières maisons qui, même si l’édition deviendra vite son activité principale, a commencé comme libraire et l’est restée tout au long des cent quarante ans de son histoire, comptant jusqu’à 30 librairies, dont 15 au Québec.

J’achète l’article 4.5 €

Créé le 08.05.2015 à 02h33 ,
Mis à jour le 22.05.2015 à 11h20

La première librairie de l’Odéon, où est installé Charles Marpon lorsqu’il s’associe avec Ernest Flammarion en 1875, comprend sept arcades du côté droit du théâtre (la galerie ouest), une boutique en face rue Rotrou et un magasin rue Monsieur-le-Prince. En 1884, ils reprennent sept arcades du côté gauche (la galerie est) et une boutique en face rue Corneille. La librairie de la rue Rotrou, d’abord consacrée à la musique, s’étend deux ans plus tard par la reprise du café Tabourey, qui fait l’angle de la rue de Vaugirard, constituant ainsi une grande librairie face au jardin du Luxembourg.

A droite de l’image, la première Librairie E. Flammarion et A. Vaillant au Havre, au carrefour de la rue de Paris et du quai d’Orléans qui deviendra quai Georges-V en 1918. Elle sera expropriée en 1910 pour construire les Galeries du Havre et déménagera place de l’Hôtel-de-Ville. - Photo COLLECTION PARTICULIÈRE.

Entre-temps, quatre mois après leur association, Marpon et Flammarion ont ouvert une deuxième librairie boulevard Saint-Martin, et un an plus tard une troisième boulevard des Italiens qui deviendra la plus importante après celle de l’Odéon. En 1878, ils tentent une nouvelle ouverture au coin de la rue de Provence et de la rue Lafayette, mais l’abandonnent rapidement faute de rentabilité. Deux ans après, ils en ouvrent une rue Auber ; bien qu’elle soit très exiguë, elle permet un important étalage à l’extérieur, ce qui est un atout dans ce quartier très passant. Dès 1876, ils sont devenus éditeurs et, en 1882, la maison d’édition s’installe rue Racine : "La petite guérite-caisse des galeries ne pouvait plus suffire pour la réception des auteurs, illustrateurs, marchands de papier, imprimeurs, etc.", racontera Ernest Flammarion (1). Tous les ans, ils publient un "Catalogue à prix nets des Ouvrages en nombre et au rabais" pour leurs librairies.

La Librairie Flammarion dans la galerie sud du théâtre de l’Odéon (côté rue de Vaugirard) dans les années 1930. - Photo ARCHIVES FLAMMARION

A la mort de Charles Marpon en 1890, Ernest Flammarion confie la gestion des librairies à Auguste Vaillant ; entré dans les galeries de l’Odéon à son retour du service militaire en 1876, il a épousé, deux ans plus tard, la jeune sœur d’Ernest, Marie. Toujours en 1890, Ernest achète la librairie Bernard à Versailles et en ouvre une nouvelle rue du Faubourg-Saint-Honoré (il la cédera en 1896 à un fils de son autre sœur, Berthe). L’année suivante, il reprend le fonds de la librairie Pessailhan, rue Paradis à Marseille, et Auguste Vaillant ouvre un étalage rue de Rennes.

Association de beaux-frères

Le 29 juin 1895, Ernest Flammarion s’associe avec son beau-frère dans une société, créée à parts égales, qui gérera toutes les librairies sous le nom de E. Flammarion & A. Vaillant. Ernest apporte ses huit librairies : Odéon, Rotrou et Vaugirard, Italiens, Auber, Saint-Martin, Faubourg-Saint-Honoré, Marengo (reprise avec le fonds des éditions Taride en 1887), et Versailles ; Marseille a été revendue à son gérant et sera reprise dix ans plus tard. Auguste apporte deux librairies : une avenue de l’Opéra rachetée à l’éditeur Dentu, et celle de la rue de Rennes. Il est précisé que "[l]es associés devront consacrer tout leur temps et tous leurs soins à la société. Néanmoins M. Flammarion pourra prendre le temps que bon lui semblera pour l’exploitation de son établissement d’imprimeur & d’éditeur à Paris, rue Racine, n° 26" (2). De fait, Ernest Flammarion confie les librairies à son beau-frère, car le développement de la maison d’édition l’occupe pleinement. Cinq ans après la mort de Marpon, il a repris un associé pour ce qui avait été leur première activité.

Poussé par ses auteurs, Flammarion se lance à l’assaut des bibliothèques de gare en 1896. Elles sont entièrement concédées à Hachette qui met surtout en avant ses propres collections. Associé à Eugène Fasquelle, il remporte l’adjudication des réseaux de la Ceinture et de l’Etat, soit 126 bibliothèques. En 1902, il remporte le marché de la compagnie du Midi, et Fasquelle celui de l’Ouest. Ce ne sera qu’un bref intermède ; un an plus tard, ils les cèdent à Hachette.

En 1906, Flammarion et Vaillant reprennent une librairie place du Théâtre au Havre ; après expropriation, elle sera transférée en 1910 place de l’Hôtel-de-Ville. Deux ans plus tard, ils en ouvrent une à Lyon, place Bellecour et en 1912, une papeterie au 22, rue de Vaugirard. Entre-temps, ils ont repris pratiquement toutes les arcades sud de l’Odéon, côté rue de Vaugirard ; ils occupent ainsi presque entièrement les galeries du théâtre.

Flammarion, Vaillant et Compagnie

Le 14 janvier 1913, Ernest Flammarion et Auguste Vaillant forment Flammarion, Vaillant et Compagnie, dont la dénomination reste E. Flammarion & A. Vaillant, dans laquelle ils s’adjoignent leurs fils, Albert et Charles Flammarion, et Georges et Jean Vaillant, ainsi que le gendre d’Auguste, Paul Delloue. Le capital est détenu à parts égales par les deux familles. Ils apportent leurs 11 librairies (8 à Paris et 3 en province : Lyon, Marseille et Le Havre ; Versailles a été rétrocédée à Bernard en 1898). Les associés s’engagent à consacrer tout leur temps et leurs soins à la société, mais il est prévu qu’Ernest et Charles s’occupent aussi de la maison d’édition.

Auguste Vaillant meurt le 24 juin 1921 ; ses héritiers restent associés mais, suite à des contestations sur les comptes, revendent leurs parts entre 1924 et 1926 à Albert et Charles qui rachètent également celles de leur père. Le 6 février 1925, la raison sociale devient Flammarion Fils, et la dénomination Les Librairies Flammarion. Albert s’en occupe plus particulièrement.

Douze enseignes en 1924

En octobre 1924, ils ouvrent une librairie à Bordeaux, cours Georges-Clemenceau, puis le 15 décembre une autre à Paris, rue du Faubourg-Saint-Honoré. Ils la confient à un jeune libraire, Paul Faucher (3), entré comme commis à l’Odéon en 1921 puis envoyé à Lyon s’occuper du département beaux livres de la librairie Bellecour avant de diriger la librairie du Havre à partir de 1923. En 1925, suite à l’expropriation de la librairie du boulevard des Italiens pour le percement de la fin du boulevard Haussmann, ils en ouvrent une autre sur le même boulevard, au n° 25. Un nouvel emplacement est également trouvé avenue Victor-Hugo en août de la même année. Outre celle de l’Odéon et le magasin à l’angle de la rue de Vaugirard, Flammarion compte alors 6 autres librairies à Paris et 4 en province. La librairie de la rue Auber disparaît en 1929 "par suite d’une augmentation exorbitante de loyer que, vu son exiguïté, la librairie ne pouvait supporter".

A la mort d’Albert en 1937, son fils Armand devient associé de son oncle Charles et, comme son père, va s’occuper des librairies. En 1941, la société des Librairies Flammarion est prorogée entre Charles et les héritiers d’Albert. Charles et Armand en sont nommés cogérants l’année suivante.

Alors qu’elle avait été renouvelée sans interruption, mais parfois sous forme d’adjudication, ce qui a progressivement augmenté les loyers, la concession des galeries de l’Odéon est dénoncée en 1952. Les galeries sont progressivement évacuées jusqu’en 1959. Une vitrine du côté de la rue de Vaugirard, consacrée aux Editions, persistera jusqu’en 1968.

La Librairie Flammarion Bellecour à Lyon dans les années 1960.- Photo ARCHIVES FLAMMARION

En 1956, la sœur d’Armand, Micheline Deloraine, qui détient 25 % des Librairies, fait une donation d’un tiers de ses droits à ses enfants. En 1959, c’est Charles Flammarion qui fait donation à ses enfants de 45 % de ses droits. Le 30 septembre, il cède la place à ses fils Henri et Claude comme cogérants des Librairies avec Armand.

En 1968, Armand fait donation à ses enfants de 12/100e de ses droits sur les Librairies. L’année suivante, Armand et Henri rachètent à parts égales les parts de Micheline Deloraine et de ses enfants. La famille d’Armand possède alors 37,50 % des parts et les héritiers de Charles 62,50 %. A la mort de Claude, le 20 juin 1973, sa femme et ses enfants héritent de ses parts (16,66 %).

Charles-Henri Flammarion, l’aîné des fils d’Henri, entre dans la maison en 1969 mais part faire un MBA aux Etats-Unis ; il intègre définitivement la société en septembre 1972. Ses frères, Alain et Jean-Noël, gèrent la librairie Georges-Clemenceau à Saint-Tropez pendant l’été 1973. En difficulté, la librairie a été reprise avec Laffont ; elle sera cédée à la rentrée. A la fin de leurs études, Alain intègre la distribution après un stage chez J’ai lu, et Jean-Noël, après un stage à la librairie des Puf, vient s’occuper des librairies.

En septembre 1974, il ouvre une nouvelle librairie au palais des Congrès de la porte Maillot ; en 1975, le centre commercial de La Part-Dieu accueille une seconde librairie lyonnaise et l’année suivante il en crée une autre au centre commercial Galaxie de la place d’Italie à Paris (qui deviendra Italie 2). Deux ans plus tard, Flammarion reprend les éditions et la librairie de La Maison rustique ; créée en 1836 et établie depuis 1844 au n° 26 de la rue Jacob, c’est l’une des plus anciennes librairies de Paris.

La Hune chez Flammarion

En décembre 1976, Charles-Henri, Alain et Jean-Noël créent Flammarion 4 (symbole de la quatrième génération), société dans laquelle ils regroupent les nouvelles librairies, Maillot, Italie 2 et bientôt celle du Centre Pompidou dont ils obtiennent la concession à son ouverture en 1977. Flammarion 4 deviendra également éditeur de produits dérivés pour les librairies de musées.

La Librairie La Hune boulevard Saint-Germain, en 2011.- Photo OLIVIER DION

En juin 1977, avec la prise de contrôle des éditions Arthaud, une nouvelle librairie à Grenoble est intégrée au groupe ; elle est définitivement séparée des éditions en 1979. En 1978, la librairie de l’avenue de l’Opéra est cédée et une librairie-papeterie est ouverte 26, rue Saint-Antoine (4). En mars 1980, ils reprennent La Hune avec laquelle un partenariat avait été initié dès 1976. De 1981 à 1992, elle sera dirigée par Georges Dupré, une figure de la librairie (5).

En juin 1981, les parts de la famille d’Armand Flammarion dans les Librairies sont reprises par Charles-Henri, Alain et Jean-Noël. Suite aux rachats en 1974 des parts de sa sœur et de la moitié de celles des héritiers de son frère Claude, Henri, qui reste seul gérant, en possède 53,59 %, ses fils 12,67 % chacun, et les héritiers de Claude 8,33 %. La librairie du boulevard des Italiens ferme à l’automne.

Flammarion 2

En 1983, ils reprennent la librairie de l’Université à Dijon ; elle remplace une librairie qu’ils avaient créée sur le campus universitaire dans les années 1960. Début 1984, une nouvelle concession est ouverte au musée des Arts décoratifs, puis l’année suivante à la Cité des sciences et de l’industrie, à la Villette.

En mars 1987, La Hune et la librairie de la Maison rustique sont regroupées au sein de Flammarion 4 et, en avril, la librairie de Marseille est fermée. L’année suivante, les Editions reprennent aux héritiers de Claude leurs parts dans les Librairies. Le 17 mars 1989, les Librairies Flammarion, la librairie Arthaud et la librairie de l’Université sont fusionnées. Les Librairies Flammarion deviennent Flammarion 2 ; le capital est désormais entièrement possédé par la maison d’édition. Un nouveau point de vente, l’Athenaeum à Beaune, est inauguré en face des Hospices.

Ils ouvrent également une nouvelle librairie à Montréal. Flammarion en avait créé une en 1959, rénovée en 1975, puis avait acheté la chaîne des librairies du Scorpion. Sur les 15 librairies québecoises, il n’en reste plus que 7 en 1990, qui sont progressivement revendues entre 1992 et 1994 ; une nouvelle loi provinciale prive alors les librairies dont le capital n’est pas intégralement québécois de la possibilité de répondre aux appels d’offres, donc de vendre aux institutions scolaires et gouvernementales.

Fin 1992, la librairie de La Part-Dieu est fermée (Flammarion 2 ne conserve plus que Lyon, Grenoble et Dijon) et, en 1993, Flammarion 4 ouvre une boutique de ses produits dérivés au Carrousel du Louvre. La librairie de Beaune est cédée en 1993 et celle de la porte Maillot est fermée en 1996. Il reste alors 9 librairies : celles du Centre Pompidou, de la Cité des sciences, du musée des Arts décoratifs, La Hune, La Maison rustique, Italie 2, Lyon, Grenoble et Dijon. Une dixième est prévue à la BNF pour 1997, mais l’ouverture sera retardée à 1998 avec un simple comptoir de ventes lors des expositions avant la véritable librairie fin 1999.

La librairie de Beaubourg est en grande partie fermée pour travaux de septembre 1997 à mars 2000 du fait de la rénovation du Centre. Au 1er janvier 1998, les activités de Production et de Librairies de Flammarion 4 sont séparées en deux entités : Productions Flammarion 4, qui poursuit les activités éditoriales et commerciales (et crée des points de vente à Vélizy, rue Saint-Louis-en-l’Ile, rue du Renard et au Carrousel du Louvre), et Librairies Flammarion 4, qui ne contient que les librairies parisiennes (les Arts décoratifs, Beaubourg, Italie 2, BNF, Cité des sciences, La Maison rustique et La Hune).

En décembre 1998, une SARL Flammarion Centre est créée pour gérer la librairie du Centre Pompidou à compter de sa réouverture en 2000, et la concession de la librairie de la Cité des sciences prend fin. En septembre 1999, face aux difficultés des librairies de province et pour s’appuyer sur un groupe plus important, Flammarion apporte son pôle de librairies régionales (Grenoble, Lyon, Dijon) aux librairies du Savoir (31 librairies en France et en Belgique) dont elles détiennent en échange 23,50 % du capital.

Période Rizzoli

Après la vente à Rizzoli, Jean-Noël Flammarion rachète l’activité de production de Flammarion 4 qui est rebaptisée Jnf Productions. La période Rizzoli va voir, en mars 2001, la fermeture de la librairie Italie 2, en novembre 2001, celle du magasin de vente, rue Racine (ouverte dans les années 1980 en face de l’immeuble des éditions), et, en septembre 2002, la librairie de La Maison rustique cédée aux éditions du Gerfaut. Le 31 décembre 2002, la concession de la librairie des Arts décoratifs n’est pas renouvelée et, le 1er avril 2003, c’est au tour de celle de la BNF.

Le 24 juin 2003, Flammarion 4 ne contenant plus qu’une seule librairie est rebaptisée La Hune. Enfin, le 14 avril 2005, France Loisirs reprend les librairies Privat (anciennes librairies du Savoir). Il ne reste plus au groupe que La Hune et Beaubourg jusqu’en mai 2010 où une nouvelle librairie est ouverte dans le Centre Pompidou à Metz.

Après le rachat par Madrigall, La Hune déménage, le 2 mai 2012, place Saint-Germain-des-Prés. Le 15 juin, après sa fermeture, il ne restera plus au groupe Flammarion que les deux librairies du Centre Pompidou à Paris et à Metz, mais elles rejoignent au sein de Madrigall les 9 librairies de Gallimard.

(1) Archives Flammarion.
(2) Archives nationales, MC/ETC/1526.
(3) Il créera les "Albums du Père Castor" chez Flammarion en 1931.
(4) Elle sera cédée en mars 1984 à Gérard Moreau et deviendra librairie Epigramme.
(5) Voir Les Chemins Dupré, 1987.

Prochain épisode : "Flammarion, un éditeur populaire : 1875-1945"

Les dernières
actualités