Histoire de l'édition

Flammarion/3 : un éditeur populaire, 1875-1945

Affiche de librairie pour Le monde avant la création de l’homme, œuvre de Zimmermann revue et complétée par Camille Flammarion, 1885. On remarque l’immeuble qui préfigure celui de la rue Racine qui n’est pas encore construit, et la faute à "Ressucité". - Photo Archives Flammarion

Flammarion/3 : un éditeur populaire, 1875-1945

Associés dans les galeries de l’Odéon en 1875, Charles Marpon et Ernest Flammarion deviennent éditeurs l’année suivante, même si les Flammarion dateront souvent leurs débuts de leur premier succès en 1879, Astronomie populaire de Camille Flammarion, frère d’Ernest. Créée en 1877, leur première "Collection de diffusion" souligne leur credo : satisfaire le lecteur.

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Créé le 15.05.2015 à 02h03 ,
Mis à jour le 22.05.2015 à 11h19

Charles Marpon et Ernest Flammarion achètent des stocks pour approvisionner leurs librairies mais très vite publient leurs propres livres. En juin 1876, le premier, La corde au cou, pièce d’André Gill, est lié à l’Odéon. Le deuxième, une autre pièce, La grande symphonie héroïque des punaises de Nadar et Charles Bataille, porte seulement la mention : Sous les piliers tournants de la vague demeure, c’est-à-dire sous les arcades de l’Odéon. En novembre 1877, se présentant pour la première fois comme éditeurs, ils annoncent une édition illustrée du Voyage aux pays annexés de Victor Tissot qui a connu un grand succès chez Dentu. Il paraît en 50 "livraisons" au rythme de 2 par semaine, à 10 centimes la livraison, et formera un volume relié à 5,50 F. En vogue depuis l’époque romantique, l’édition en livraisons permet de répartir les frais sur la durée et d’ajuster le tirage en fonction des ventes. Ils s’en feront une spécialité.

Camille Flammarion, Astronomie populaire, 1879. Le premier succès des Editions Marpon et Flammarion par le frère d’Ernest. - Photo ARCHIVES FLAMMARION

En avril 1878, ils annoncent une édition illustrée de L’assommoir de Zola puis de nouvelles éditions de l’Histoire de la Révolution française en 9 volumes et de l’Histoire de France en 19 volumes de Michelet. Ils publient des rééditions de Victor Hugo, Emile Zola, Eugène Sue et, en 1879, Astronomie populaire, du frère d’Ernest, Camille Flammarion. Une "Bibliothèque scientifique populaire" lui est confiée, inaugurée en 1885 avec Le monde avant la création de l’homme. Elle est rebaptisée "Bibliothèque Camille Flammarion" en 1887.

La cuisine à l’usage des ménages

On trouve au catalogue des ouvrages aussi divers que Les églises de Paris de Viollet-le-Duc, Les tireurs au pistolet du baron de Vaux préfacé par Maupassant, La navigation aérienne d’Henry et Frédéric Hamon ou une biographie de feu Victor Hugo par Alfred Barbou. Ils lancent un Dictionnaire populaire de médecine usuelle par le Dr Labarthe et publient un Bréviaire de l’amour expérimental du Dr Guyot. Les livres de cuisine font leur entrée avec Lacuisine à l’usage des ménages bourgeois et des petits ménages du baron Brisse, l’un des premiers journalistes gastronomiques.

Alexis Bouvier, romancier très populaire, leur confie Le Bel Alphonse, Hector Malot, Les victimes d’amour puis La petite sœur, et Guy de Maupassant, Contes du jour et de la nuit et Toine. Ils publient Les gaîtés de l’escadron, le premier livre de Georges Courteline qui leur restera fidèle, une édition illustrée de Tartarin sur les Alpes et La Belle-Nivernaise de Daudet puis La France juive d’Edouard Drumont. Il est publié en avril 1886 à 2 000 exemplaires à compte d’auteur, et ils acceptent de le réimprimer parce qu’il s’est arraché. En octobre paraît Le capital de Karl Marx, "résumé et accompagné d’un aperçu sur le socialisme scientifique" par Gabriel Deville.

En 1887, ils lancent, avec Lumen de Camille Flammarion, La Belle-Nivernaise de Daudet et Thérèse Raquin de Zola, la "Collection des auteurs célèbres à 60 centimes le volume" afin "de mettre entre toutes les mains de bonnes éditions des meilleurs écrivains modernes et contemporains". Au catalogue, elle sera leur première "Collection de diffusion". On y trouve Balzac, Dumas, Maupassant et aussi Dostoïevski, Swift, Tourgueniev… Riche d’environ deux cents titres en 1890, elle s’arrête en 1912 après quelque six millions d’exemplaires vendus.

Les femmes d’amis de Courteline inaugure en 1888 une collaboration avec le célèbre illustrateur Steinlen et ils donnent les Souvenirs d’un homme de lettres de Daudet, Sur l’eau de Maupassant, une "Bibliothèque de la vie moderne" avec Le Mahatma par Gaston Bussy et Gaston Lèbre, et Les premières civilisations de l’Orient du médecin et anthropologue Gustave Le Bon. L’année suivante sont notamment publiés Dans la rue d’Aristide Bruant et Mariage riche d’Hector Malot.

Capitaine Danrit (commandant Emile Driant), La guerre fatale, France-Angleterre, 1902. Ce type de cartonnage dit "à plat historié" est caractéristique des livres d’étrennes et de prix publiés par Flammarion. - Photo COLLECTION PARTICULIÈRE

Flammarion lance en 1891 une "Bibliothèque pour tous" à 75 centimes : "Instruire en amusant, tel est son but" avec des titres comme Qu’est-ce que le ciel ? de Camille Flammarion ou Manuel technique et pratique du vélocipède de A. Gaston Cornié. En 1892, il crée une nouvelle collection, "Auteurs gais", avec Vive la vie ! d’Alphonse Allais ; on y trouvera des livres de Tristan Bernard, Willy, Armand Silvestre… Le commandant Emile Driant, sous le pseudonyme Capitaine Danrit, publie ses premiers romans, La guerre de forteresse et La guerre en rase campagne qui précèdent des romans d’anticipation comme Robinsons sous-marins ou L’invasion jaune. Il est tué à Verdun en 1916. Ses cartonnages ont fait le bonheur des écoliers.

Questions sexuelles

Daudet donne encore La menteuse et La Fédor, et Jules Renard Poil de Carotte puis Histoires naturelles. Hector Malot En famille, suite de Sans famille, avant Le roman de mes romans, son dernier livre autobiographique. En 1898, Flammarion commence à publier la romancière Gyp qui fera de beaux succès. Il enrichit son catalogue de livres de cuisine avec Urbain-Dubois repris à Dentu, ou ceux de Rachel de Kerven, alias Mademoiselle Rose (1901) : "Cent façons de…", et donne les manuels de savoir-vivre de Mlle Soyer, alias baronne Staffe (Indications pratiques pour réussir dans le monde). Une "Bibliothèque physiologique", dont les couvertures illustrées attireront l’attention de la justice, réunit une vingtaine de titres consacrés aux questions sexuelles.

Il publie en 1897 la traduction de Vers le pôle de Fridtjof Nansen et, en 1906, les récits des expéditions polaires du commandant Charcot. Léon Daudet lui confie en 1901 un roman fantaisiste et antisémite, Le pays des parlementeurs.

En 1902 est lancée la "Bibliothèque de philosophie scientifique", sous la direction de Gustave Le Bon (1) qui signe le premier volume, Psychologie de l’éducation, tiré à 2 200 exemplaires et retiré deux fois à 1 100 exemplaires en quelques mois. Le deuxième, La science et l’hypothèse d’Henri Poincaré tiré à 1 650 exemplaires fera l’objet de trois retirages à 1 100 exemplaires chacun. C’est un bon début pour une collection ambitieuse et le tirage initial est porté à 3 500 ou 4 000 exemplaires. En 1914, 108 titres auront été publiés, tirés en moyenne à 6 200 exemplaires. Flammarion est rapidement devenu l’un des principaux éditeurs de vulgarisation.

Le 30 juillet 1909 est annoncé un livre de Pierre Souvestre et Auguste Wimille, La traversée de la Manche en aéroplane, 1875-1909,de Blanchard à Blériot, avec une préface de Louis Blériot ; c’est le 25 juillet que ce dernier a traversé la Manche pour la première fois. Une performance même si le livre a été préparé à l’avance.

En 1910 est lancée une "Collection illustrée à 95 centimes" avec Tartarin de Tarascon tiré à 60 000 exemplaires. On y trouve Gyp, Jean Aicard, Alphonse Allais, Courteline, Conan Doyle… A la pointe sur les sujets de société, Flammarion publie en 1911 Le mariage des prêtres de l’abbé Claraz qui donnera l’année suivante La faillite des religions. En 1913, il lance une "Bibliothèque de culture générale" confiée à Arnold Van Gennep et Louis Matruchot ; Le perfectionnement des plantes de Louis Blaringhem et Le problème de Jésus de Charles Guignebert sont parmi les premiers titres.

La "Select-collection"

Cette même année paraît L’envers du music-hall de Colette Willy. C’est aussi en 1913 que Flammarion confie la direction littéraire à Max et Alex Fischer. Depuis la publication de Pour s’amuser en ménage ! en 1903, ils sortent un livre pratiquement tous les ans, de Camembert-sur-Ourcq au Duel de Lolotte. Ils seront d’importants pourvoyeurs d’auteurs.

Choix de couvertures illustrées de la "Select-collection" 1913-1940.- Photo ARCHIVES FLAMMARION

Le 1er février 1914, ils lancent, avec La guinguette de Gyp et Tartarin de Tarascon, la "Select-collection", conçue pour publier chaque quinzaine des titres d’écrivains célèbres à 50 centimes. On y trouve Colette, Courteline, les Goncourt, Zola… Les tirages vont de 50 000 à 80 000 exemplaires et les réimpressions se succèdent.

La guerre se profile avec la réédition de 1870, feuilles de route de Paul Déroulède et on renforce les documents. Gustave Le Bon donne Enseignements psychologiques de la guerre européenne tiré à 5 500 exemplaires en 1915 ; régulièrement réimprimé, il atteindra plus de 34 000 exemplaires en 1919. Il récidive avec Premières conséquences de la guerre. Transformation mentale des peuples en 1916 ; tiré à 16 500 exemplaires, il approchera les 32 000 en 1919. Il publie aussi L’Italie en guerre d’Henri Charriaut, La Grande-Bretagne et la guerre de Louis Cazamian, L’impérialisme économique allemand d’Henri Lichtenberger…

Henri Barbusse, Le feu, 1916. Un grand succès, premier prix Goncourt de Flammarion. - Photo ARCHIVES FLAMMARION

Charles-Henry Hirsch donne en 1915 Mariée en 1914 et Chacun son devoir, roman d’un réformé en 1916. Plus facétieux, Tristan Bernard écrit Le Poil civil, gazette d’un immobilisé pendant la guerre. Le feu d’Henri Barbusse, sorti en novembre, reçoit le prix Goncourt 1916 et sera un immense succès : 100 000 exemplaires en quelques mois. On découvre également Maurice Genevoix, dont sont publiés Nuits de guerre : Hauts de Meuse en 1917 et Au seuil des guitounes en 1918. Le prix Femina 1918 va à Henri Bachelin pour Le serviteur.

Une nouvelle collection littéraire est lancée en 1919 avec Profil de veuve de Paul Bourget : "Une heure d’oubli" à 45 centimes ; un volume est annoncé tous les jeudis. Il s’agit de brochures de 64 pages proposant "les plus parfaites œuvres des plus grands romanciers contemporains".

En 1922, Flammarion lance une "Bibliothèque des connaissances médicales" sous la direction du Dr Apert et une nouvelle collection, "Les histoires drôles". En juillet paraît La garçonne de Victor Margueritte qui fait scandale et se vend à plus de 700 000 exemplaires, la meilleure vente depuis que la maison existe.

Colette signe seule

En 1923 sort Le blé en herbe de Colette. C’est la première fois qu’elle signe de son seul nom. Elle donnera, de 1924 à 1928, La vagabonde, La femme cachée, Aventures quotidiennes, La fin de Chéri et La naissance du jour. La même année, "La première œuvre" est destinée à de jeunes auteurs parrainés par des écrivains célèbres. Titaÿna (Elisabeth Sauvy) y débute.

L’entre-deux-guerres est aussi marqué par les romans de Marie et Frédéric Petitjean qui, sous le pseudonyme de Delly, donnent Le fruit mûr et Mitsi, bientôt suivis de La chatte blanche, L’infidèle… (les ventes atteignent 50 000 exemplaires ; après 1929, ils dépasseront les 100 000), de T. Trilby (Thérèse de Marnyhac), avec notamment L’impossible rédemption, de Raymonde Machard La possession (1927) et Les deux baisers (1930) qui atteignent chacun en première édition un tirage cumulé de 462 000 exemplaires, de Marcelle Tinayre L’ennemie intime (1931) ou Mariage (1933), et de Claude Farrère avec des titres pouvant atteindre 200 000 (La marche funèbre, 1929) ou 150 000 (Le chef, 1930).

Une collection, "Education" voit le jour en 1927 sous la direction de Paul Faucher, libraire chez Flammarion, avec Trois pionniers de l’éducation nouvelle par Adolphe Ferrière.

En 1928, Max Fischer reprend La chair et le sang de François Mauriac et l’année suivante Préséances ; en 1931 il obtient un inédit, Le Jeudi-Saint, dans une nouvelle collection "Les belles fêtes". De Paul Morand, il publie Paris-Tombouctou en 1928, Hiver caraïbe en 1929, New York en 1930 et A.O.F. : de Paris à Tombouctou en 1932 et, de Mac Orlan, Nuits aux bouges en 1929 et La Légion étrangère en 1933. Jules Romains choisit Flammarion pour publier Les hommes de bonne volonté dont les deux premiers tomes sortent en 1932 ; 25 autres suivront jusqu’en 1946.

Einstein, Henriot, Weygand

Le pratique fait encore recette comme Le nouveau savoir-vivre de Paul Reboux en 1930 vendu à 110 000 exemplaires en un an. L’histoire aussi avec notamment Les dernières années de l’impératrice Eugénie d’Octave Aubry tiré à 35 000 exemplaires en 1933 ou Napoléon et l’amour de Frédéric Masson. Pour les étrennes de 1931 sont publiés les deux premiers titres d’une nouvelle collection "Les albums du Père Castor", confiée à Paul Faucher (2). Elle fera les beaux jours du catalogue avec des ouvrages de Nathalie Parain, de Feodor Rojankovsky, de Rose Celli…

A la mort de Gustave Le Bon en 1931, son collaborateur, Paul Gaultier, lui succède. Il publie notamment d’Einstein, Comment je vois le monde en 1934 et L’évolution des idées en physique (avec Léopold Infeld) en 1938. Il se fait aussi l’écho des enjeux politiques avec L’âme allemande de Louis Reynaud en 1933 ou Dictature ou liberté de Louis Marlio en 1940.

Flammarion publie également Dictateurs d’aujourd’hui d’Henri Béraud, Le 6 février de Philippe Henriot, Les avions d’Hitler de Dorothy Woodman, Staline contre l’Europe de Jacques Bardoux et La France est-elle défendue ? du général Weygand qu’il poursuivra d’une Histoire de l’armée française alors que Geneviève Tabouis donne Chantage à la guerre, et Lucien Romier Saurons-nous éviter la guerre ?

Défense du pays d’Edouard Daladier, Finances de guerre de Paul Reynaud ou L’invasion allemande en Pologne, avec un avant-propos d’Edouard Herriot, attirent l’attention de l’Occupant. 43 titres figurent sur la liste Otto ; 151 493 exemplaires de 74 titres sont saisis. 223 titres d’écrivains juifs et 24 d’auteurs anglais, pourtant interdits, seront dissimulés.

241 titres sont publiés durant l’Occupation. Certains de circonstance : 340 recettes de cuisine pour les restrictions alimentaires qui deviendra l’année suivante 390 recettes… ou Aurons-nous bientôt de l’essence ? D’autres, plus politiques, comme L’homme à la bêche, histoire du paysan d’Henri Pourrat ou Le sens du conflit d’André Demaison. La saison des juges d’Anatole de Monzie est interdit en zone libre et on réédite L’histoire de deux peuples de Jacques Bainville pourtant interdit.

Des traductions imposées par les Allemands

Flammarion refuse de publier des titres comme "Paris à l’ombre de la croix gammée" mais devra sortir Accusés, levez-vous de Jacques Boulenger et Le testament politiquede Richelieu de Frédéric Grimm, préfacé par Fernand de Brinon. Pour traduire des auteurs allemands, les éditeurs préfèrent Initiations à la physique de Max Planck ou Peter Holz d’Hermann Gerstner. On leur impose pourtant Du pain pour deux milliards d’hommes d’Anton Zischka mais il ne paraîtra qu’en avril 1944. Le secrétariat général à l’Information finance pour la propagande La Charte du travail de René Guerdan et Qui est Pierre Laval ? En 1942, ils publient le catalogue de l’exposition Arno Breker à l’Orangerie. Genevoix donne L’hirondelle qui fit le printemps puis Eva Charlebois, Morand une Vie de Guy de Maupassant, Farrère L’homme seul, et André Billy L’herbe à pauvre homme ; 17 titres sont publiés dans la "Bibliothèque de philosophie scientifique".

En mars 1945, seuls quatre titres figurent parmi la liste des "Ouvrages à retirer de la vente" du Contrôle militaire des informations. Malgré cela, des poursuites sont engagées pour leur activité pendant l’Occupation. Comme Laffont, Gallimard et Plon notamment, ils seront rapidement blanchis.

(1) Sur la collection, voir l’article de Benoit Marpeau, "Une entreprise éditoriale : la "Bibliothèque de philosophie scientifique" de Flammarion, 1902-1962", Revue d’histoire moderne & contemporaine, 2010/4, p. 185-210.
(2) Voir notamment Le Père Castor. Paul Faucher (1898-1967), un Nivernais inventeur de l’album moderne. Actes du colloque de Pougues-les-Eaux, 20 et 21 novembre 1998, suivis des témoignages de collaborateurs de Paul Faucher, Conseil général de la Nièvre, 1999.

Prochain épisode : "Flammarion, un éditeur populaire (2) : 1945-2015"

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