Sous le titre « Ma médiathèque mute  », Le Monde de ce week-end consacre un article aux bibliothèques publiques et à leurs évolutions. C'est en soi un événement pour le monde des bibliothèques tant rares sont les articles de la presse généraliste qui parlent de cet équipement public. Une certaine forme d'invisibilité des médiathèques est donc vaincue mais il reste que le portrait ignore une dimension essentielle. De façon assez précise l'article présente à la fois le défi que représente la numérisation de l'information et la manière  dont certaines bibliothèques parviennent à proposer de nouveaux services (liseuses, catalogues en ligne, jeux-vidéos, etc.). En cela, l'article témoigne de la manière dont cette institution (par certains de ses représentants) cherche de nouvelles pistes afin de rester en phase avec une population et des élus qui modifient leurs pratiques et donc leurs attentes à son égard. Il reste que l'article est représentatif d'un discours professionnel dominant dans lequel le contenu, l'information demeurent le cœur par lequel se définit la bibliothèque. Face à la perte du monopole de la mise à disposition gratuite (idéalement plus que réellement) d'information dont disposaient les médiathèques, il s'agirait surtout d'entrer dans la « concurrence » ou encore de travailler à l'éditorialisation de l'information à l'instar de ce que P. Bazin a développé à Lyon et propose de poursuivre à la BPI. Ce « virage » est important mais il n'est pas suffisant car l'offre en ligne d'information (légale ou non) est bien installée. Difficile de s'imposer comme nouvel acteur (même avec une originalité) quand d'autres sont implantés solidement. Les pratiques se solidifient bien vite. Il n'est qu'à voir la situation délicate dans laquelle se trouve 1001libraires.com... Il faudrait la force de la BNF pour pouvoir peut-être rivaliser... Que propose-t-elle comme collections vivantes ? Elle ne semble pas se soucier de cet enjeu... Mais surtout, l'article comme (trop souvent) les discours professionnels, omettent la dimension essentielle de la bibliothèque comme espace public. En répondant par le contenu à la question de l'utilité des bibliothèques, les professionnels ignorent la réalité des usages effectifs de leur équipement. Ils répondent plus à la question de à quoi la bibliothèque devrait servir plus qu'à celle de son usage réel. Etudiants qui viennent travailler dans un cadre calme, collégiennes qui allient travail scolaire et sociabilité, personnes âgées venant trouver à la bibliothèque un espace alternatif au cadre du foyer, chômeurs à la recherche d'offres d'emplois (et d'un café), la liste est longue de ces pratiques effectives d'aujourd'hui dans lesquelles les collections sont le prétexte à un espace utilisé à des fins de socialisation plus que de quête de contenu. Précisons que le travail solitaire dans un cadre collectif est bien une forme de socialisation au sens où c'est lui qui fournit la contrainte qui lui est nécessaire. Cette dimension est oubliée alors que c'est la moins sensible au basculement du monde vers le numérique. Au contraire, le numérique crée des relations que la bibliothèque peut compléter, des tentations dont elle peut libérer... L'article du monde est donc partiel dans sa définition de la bibliothèque. Il révèle une vision française du monde dans laquelle l'idéal doit prévaloir sur la réalité. Gageons que les prochaines occasions de débats sur l'avenir des bibliothèques (Salon du livre de Paris, Congrès de l'ABF) prennent en compte cette dimension oubliée... et pourtant évidente. Comment refonder les bibliothèques en ignorant le point de vue de ceux qui les fréquentent ?
15.10 2013

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