Le regard clair de celui qui voit au-delà des apparences. Pierre Péju a l’âme romantique et le rêve constant. A l’âge de 13 ans il tenait un cahier de songes. Depuis, il les distille dans ses romans ou ses essais. Il vit le rêve comme une seconde vie et la vie comme un rêve éveillé.

Né en 1946, il a baigné dans les livres de la librairie paternelle, La Proue, à Lyon, où il a rencontré le gratin des lettres des années 1950 : Robbe-Grillet, Sagan, Aragon, Sarraute. Aux murs, des photos de Beckett, Breton, Michaux.

Deux univers mentaux vont le construire, le surréalisme puis le romantisme allemand, qu’il éprouve quasi physiquement à l’âge de 6 ans. « C’était en Bavière. L’Allemagne sous occupation américaine était en ruines, mais certains villages étaient préservés, comme dans les contes. » Son grand-père, Elie Péju, compagnon de la Libération, est l’un des fondateurs du mouvement Franc-Tireur. Il lui raconte la Résistance, il l’emmène dans des musées, il lui apprend à regarder. Aujourd’hui encore, il en garde un souvenir vivace et une certitude. « C’est la réalité qui ressemble à la littérature. »

A 15 ans, il retourne seul en Allemagne pour éprouver ce choc d’une civilisation effondrée sur elle-même mais où subsistent des îlots de consolation qui se nomment Chamisso, Tieck ou Schiller, dont il préfacera les œuvres dans la « Collection romantique » chez José Corti.

Et puis survient la rencontre, car il en faut bien une quand on veut devenir écrivain. Ce sera Maurice Nadeau. Pierre Péju a 22 ans et il vient dire son admiration à ce roi lire. Nadeau lui offre trois pages dans La Quinzaine littéraire pour un article sur « André Breton et l’esprit moderne ». C’est le début d’une collaboration puis d’une amitié. Péju lui confie son premier manuscrit. Nadeau repart, les feuillets sous le bras, sans dire un mot. Quelques semaines plus tard, il lui téléphone. « Je vous le publie à la rentrée. » Ce sera Vitesses pour traverser les jours aux éditions Lettres nouvelles-Maurice Nadeau. Nous sommes en 1979.

C’est le premier livre de Pierre Péju, professeur de philosophie dans des lycées parisiens. Il écrit ensuite La petite fille dans la forêt des contes (Laffont, 1981), un essai dans lequel il choisit Bachelard plutôt que Bettelheim, et un autre livre chez Maurice Nadeau en 1996, La vie courante. Six ans plus tard, c’est le triomphe. La petite Chartreuse (Gallimard, 2002) obtient le Prix du Livre Inter, est traduit dans une vingtaine de langues et adapté au cinéma par Jean-Pierre Denis. Avec ses droits d’auteur, Pierre Péju peut se consacrer entièrement à l’écriture avec à la clé d’autres succès comme Le rire de l’ogre (Gallimard, 2005). Il compose ses livres comme un musicien, pour que cela sonne juste. Il faut du merveilleux évidemment, une histoire solide, des personnages crédibles. On retrouve tout cela dans L’état du ciel : un couple à la dérive, un lac, des montagnes, un accident et un Raphaël envoyé par les dieux arranger tout cela. Un ange et des monts en quelque sorte…

Voyages imaginaires.

Ses thèmes de prédilection sont toujours bien présents autour de l’enfance, des peurs, des mythes. Il a traité du Monstrueux (Gallimard Jeunesse, 2007) pour les jeunes et de l’Enfance obscure (Gallimard, 2011) pour les adultes dans ce qu’il considère comme son grand livre, celui où il a mis beaucoup de lui, de ses passions, de ses lectures. « J’ai recherché ce que Deleuze appelle des blocs d’enfance. » On y croise les grands noms de la pensée allemande et bien sûr ses chers rêveurs romantiques. « Le conte c’est le lien humain fondamental où l’on trouve un récit, des images, des personnages. Raconter, ce n’est pas se raconter, c’est se relier aux autres. » Une forme de religion, de mystère.

La folie est également manifeste dans L’état du ciel. « Il n’y a d’art que dans la menace de l’abandon. Le roman est sur cette ligne de crête. On demande au roman du sens et une explication de ces lieux de basculement possible. » D’où cette idée d’un fantastique au quotidien comme dans Cœur de pierre (Gallimard, 2007) où un écrivain est réellement confronté à un de ses personnages. Pierre Péju n’est pas prêt à renoncer à ses voyages imaginaires comme à ses pérégrinations autour du monde. Il revient de la Vallée de la Mort, dans l’Ouest américain. A Zabriskie Point, il paraît qu’on voit encore des mirages… Laurent Lemire

L’état du ciel, Pierre Péju, Gallimard, 260 p., 18,50 euros, ISBN : 978-2-07-014203-3. En librairie le 29 août.

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