6 octobre > Beau livre France > Michel Pastoureau

C’est la couleur par excellence. Dans certaines langues comme le russe, elle est synonyme de beauté : l’épithète rouge qualifiant la célèbre place moscovite ne désigne pas tant son aspect chromatique que l’effet esthétique produit par l’ensemble ; en castillan moderne colorado, c’est tout simplement rouge, qui donna à l’Etat de l’Ouest américain son nom en raison de ses grès rouges.

"Couleur rouge" serait un "pléonasme", note Michel Pastoureau qui consacre au rouge une Histoire, enrichissant ainsi sa série inaugurée au Seuil avec le bleu (2000) et poursuivie avec le noir (2008) et le vert (2013). Les couleurs nous interpellent : "Les Germains étaient-ils en avance sur les Grecs et les Romains dans la perception des bleus et des verts ? Les peuples de la Bible et du Proche-Orient ancien voyaient-ils mieux le rouge que toute autre teinte ?" Les scientifiques tentent aujourd’hui d’apporter des réponses en analysant le lexique afin de mieux comprendre les mécanismes de la perception. Mais ce n’est pas parce que le mot fait défaut qu’on ne perçoit pas la couleur. Rappelons que les couleurs primaires n’ont pas toujours existé et que le prisme newtonien est assez contemporain. Rouge et vert au Moyen Age ne s’opposent pas en tant que "couleurs complémentaires" mais se déclinent pour l’œil médiéval à la manière d’une nuance. Dans l’Antiquité, nul ne saurait déclarer aimer le rouge ou le bleu in abstracto : une couleur n’est jamais désincarnée de l’objet qu’elle colore, elle est toujours symbolique.

C’est pourquoi "la perception des couleurs, insiste le médiéviste, n’est pas seulement un phénomène biologique ou neurologique ; c’est aussi un phénomène culturel, qui sollicite le savoir, la mémoire, l’imagination, les sentiments, les relations avec les autres et plus largement, la vie en société." Rouge, histoire d’une couleur est l’odyssée culturelle d’une couleur. De la grotte Chauvet à nos jours en passant par Rome où, en sa version purpurine, elle symbolise l’empereur ou le Grand Siècle, où "les talons rouges" sont emblématiques du statut d’aristocrate, on suit les hauts et les bas de cette couleur à travers les âges. Tour à tour noble, vulgaire, sainte, diabolique, vulgaire. Elle est la préférée du VIe au XIVe siècle ; elle est décriée par l’austère Réforme ("chromophobes", les protestants exhortaient à ne pas se parer de couleurs vives et à se vêtir de noir). Ambivalente à l’époque contemporaine, elle est signe de la séduction comme de la révolution. Pastoureau nous dépeint le rouge dans tous ses états et ses combats - un petit match entre rouge et bleu se joue à la fin du XIIe siècle. Mais comme pour toutes les couleurs, le rouge est double et porteur de sens contradictoires dans une même époque. A son apogée au Moyen Age, il est considéré comme sacré tel le sang du Christ, impur comme les menstrues des femmes. S. J. R.

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