11 octobre > Essai France > Michaël Prazan

C’est un enfant sur le quai d’une gare. Il a 7 ans et il a peur. Avec lui, dans cette gare des Aubrais qu’il ne connaît pas, sa sœur, de trois ans son aînée, et une femme, Thérèse Léopold, qu’on lui a dit devoir appeler tata. Devant lui, le tragique des temps, 1942, les nazis, la police de Vichy et cette zone libre qu’il essaie de rejoindre. Il comprend en un instant et un regard partagé que cette tante qui n’en est pas une, qu’il ne connaît que depuis vingt-quatre heures, va le livrer à l’occupant ; puis, sans qu’aucune parole ne soit échangée, que prise de pitié elle n’en fera rien. C’est la scène initiale de Bernard Prazan, dont les parents jamais ne reviendront des camps, et qui devient alors un enfant caché parmi des milliers d’autres.

Cet enfant égaré dans les corridors de l’histoire, né de la terreur, de la nuit et du chagrin, du silence aussi, c’est le père de Michaël Prazan, documentariste reconnu. Magnifique livre, et d’abord d’un oubli impossible, La passeuse est le roman vrai que le père et le fils ont en partage autant que la conversation qu’ils n’ont jamais vraiment su avoir. Du récit que Bernard fit un jour pour les besoins de l’Ina de ces années terribles se dégage peu à peu la figure infiniment énigmatique de cette Thérèse, cette femme dont il est difficile de déterminer si elle fut une serviteuse de la Gestapo ou une Juste injustement ignorée. Ce sera à Michaël de démêler l’écheveau, lorsqu’il découvrira à quelques mois de la mort de son père que celui-ci, qui l’avait toujours publiquement considérée comme une collaboratrice, l’avait dans le même temps après-guerre aidée à obtenir une pension de l’Etat au titre de son geste...

A celui de la littérature de la Shoah, confirmant que le temps est venu pour la troisième génération de se pencher sur la seconde, le livre de Michaël Prazan est rien de moins qu’essentiel. Sans jamais s’abandonner à l’obscénité du pathos, l’auteur n’omet rien de ce complot de silence dont aucun enfant du siècle dernier n’est jamais tout à fait sorti. Olivier Mony

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