Loyers

Librairie : à baux tirés

EXPULSÉE MAIS RACHETÉE Sous le coup d'une procédure d'expulsion, la librairie L'Alinéa (rue de Charenton, Paris 12e) a finalement été racheté par un voisin « mécène ». - Photo OLIVIER DION

Librairie : à baux tirés

Mise en lumière par la fermeture de Castéla à Toulouse, le poids des loyers arrive dans le trio de tête des préoccupations des libraires. Témoignages et solutions.

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Par Cécile Charonnat
Créé le 17.02.2015 à 17h07 ,
Mis à jour le 10.03.2015 à 16h23

Le 18 février, le livre disparaîtra bien du Capitole. La librairie Castéla, implantée sur la célèbre place toulousaine depuis 1917, fermera définitivement ses portes. L'obligation d'engager de fortes sommes d'ici à deux ans pour mettre aux normes le magasin et une pression immobilière intense dans ce lieu stratégique de la ville, conjugués à un "manque de lisibilité sur la position des éditeurs vis-à-vis du numérique et de la chaîne du livre", ont conduit Georges Blanc, qui pilote l'institution depuis quarante-cinq ans, à jeter l'éponge, et cela malgré la présence à ses côtés de sa fille et de son neveu, pourtant déterminés à reprendre le flambeau. Castéla, qui loue ses murs à une société immobilière parisienne et additionne 5 baux, risquait en effet de voir passer son loyer annuel de 200 000 euros à 1,103 million d'euros, rejoignant ainsi les prix pratiqués sur la place du Capitole. Une charge locative "qui ne concorde plus avec le compte d'exploitation d'une librairie", pointe Georges Blanc, d'autant que Castéla a enregistré un tassement de son chiffre d'affaires, de 5 035 millions d'euros en 2009 à 4,659 en 2010.

"C'est aux communes de défendre leurs librairies. La mission sur l'avenir de la librairie devrait inventer un dispositif proactif pour aider les professionnels." VINCENT MONADÉ, MOTIF- Photo DR

Procédure d'expulsion

Moins institutionnelle mais tout autant emblématique, L'Alinéa (Paris 12e), a failli connaître le même sort. Dynamique librairie de quartier reprise par Fabien Rajalu en 2005, L'Alinéa accuse en 2010 des retards de paiements dus notamment au tassement de ses ventes et à un poids de plus en plus prégnant de ses charges locatives qui ont doublé en six ans. Malgré un rattrapage en 2011, le bailleur engage une procédure d'expulsion. La forte médiatisation et la venue du ministre de la Culture ont cependant permis de trouver un accord avec le propriétaire, qui a accepté le rachat des murs de la librairie par un voisin "mécène". Le loyer de L'Alinéa retombera dès le printemps à 1 000 euros par mois. "Mon plus gros problème ainsi réglé, je vais retrouver des conditions commerciales et d'exploitation plus favorables", conclut Fabien Rajalu, qui aimerait d'ailleurs que l'ensemble de la profession "sorte de ces discours anxiogènes, où le libraire apparaît cerné de difficultés, et qui alarment démesurément les banques".

Ces situations, particulières, font pourtant figure de "cas d'école, qui permettent de bien comprendre les problématiques de la librairie, où une petite goutte d'eau peut faire déborder le fragile vase de son économie", souligne Matthieu de Montchalin. Appelé à réfléchir sur l'avenir de la profession au sein de la mission créée par Frédéric Mitterrand, le président du SLF et dirigeant de L'Armitière (Rouen) préconise, sans rien dévoiler de ses pistes de travail, une "médecine préventive plutôt qu'une chirurgie de guerre. Il faut pouvoir agir en amont par des dispositifs d'aide, de soutien et d'allégement, que l'on peut imaginer à partir de ce qui existe déjà dans d'autres secteurs".

La librairie, activité de centre-ville par excellence, est donc particulièrement atteinte par la flambée immobilière de ces dix dernières années. La simple augmentation annuelle ou la révision triennale du loyer, légale et indexée sur l'indice Insee du coût de la construction (ou depuis 2008, sur le coût des loyers commerciaux), qui, selon l'étude Xerfi de 2011, a progressé de 3,9 % par an en moyenne, peut faire basculer une librairie à la santé fragile dans les difficultés. Toutefois, le renouvellement de bail est encore plus délicat pour les librairies installées de longue date et bénéficiant de locaux bon marché. Le propriétaire peut alors déplafonner le loyer et rattraper ainsi les prix du marché. "Ça ne les intéresse plus qu'on paye gentiment ce que l'on doit. Ils préfèrent faire valser les commerces pour surrentabiliser leur bien immobilier. Nos activités pérennes n'intéressent plus en centre-ville", s'insurge Mireille Rivalland, codirigeante de L'Atalante, qui a rencontré ce problème dans ses locaux nantais (voir encadré page 31).

A l'écart

Cet accroissement mécanique et incompressible des charges locatives pousse du coup les libraires "à se retrouver à l'écart des zones très passantes et des hypercentres. Dès lors, une partie de la clientèle leur échappe et cela limite naturellement leur développement", constate Elisabeth Mandallaz, de l'Arald (Agence Rhône-Alpes pour le livre et la documentation). L'autre solution, qui consiste à sacrifier la taille de la surface de vente à l'emplacement, conduit au même résultat. Il reste que sur ce point, les libraires sont quasi impuissants. Solution idéale pour maîtriser ses loyers tout en se constituant un patrimoine, l'achat des murs est difficile à mettre en oeuvre : les opportunités sont rares et les fonds délicats à lever (voir encadré ci-contre). Ces contraintes expliquent sans doute la faible proportion de propriétaires dans la profession, un "petit quart" selon l'étude sur la librairie indépendante menée par le SLF en 2007. Une proportion qui, en Ile-de-France, tombe à 14 %. "Mais les choses évoluent. De plus en plus de porteurs de projets intègrent cette réflexion et envisagent l'achat des murs dès l'élaboration du dossier", note Elisabeth Mandallaz.

Mission

Pour Vincent Monadé, "c'est aux communes de défendre leurs librairies". Le président du Motif (Observatoire du livre et de l'écrit de la région Ile-de-France) espère ainsi que la mission sur l'avenir de la librairie s'inspirera de ce que fait la Ville de Paris pour "inventer un dispositif proactif pour aider les professionnels". Dans le cadre du plan Vital'Quartier, qui vise notamment à réimplanter des librairies dans le Quartier latin, Paris, via la Semaest, préempte et rachète des locaux qu'elle remet à neuf pour les proposer ensuite aux libraires à des conditions préférentielles : exonération du droit d'entrée, prix plancher au mètre carré et un accompagnement resserré le temps que la librairie prenne son envol. Sans produire des miracles, ce dispositif a déjà permis dix installations, dont deux à venir en 2012, et trois rachats de librairies existantes, et s'étend désormais au-delà des 5e et 6e arrondissements.

Une procédure qu'a également explorée Aubervilliers il y a dix ans pour installer Les Mots passants. "Nous bénéficions d'un loyer de 2 600 euros par trimestre pour 90 m2, ce qui représente 2,6 % de notre CA et a fortement contribué à la réussite de la librairie", explique Isabelle Tingry, cogérante. Cette formule, dont bénéficiaient 4 % des établissements selon l'étude du SLF de 2007, ne garantit toutefois pas le succès. A Audincourt (25), malgré le faible loyer accordé par la mairie, propriétaire des murs, Les Sandales d'Empédocle s'est retrouvée très vite étranglée par des dettes aux fournisseurs et a fermé fin 2011. La commune, à qui le local avait été donné à condition que ce soit une librairie qui l'occupe, cherche désormais un repreneur.

17.02 2015

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